Vox populi, vox Dei, dit l’adage cité dans les pages roses du Petit Larousse : la parole du peuple vaut la parole de Dieu. Laissons donc le peuple parler, s’exprimer et acceptons cette voix populaire comme la vérité absolue, incontestable. Somme toute, nous avons ici la définition du mot démocratie, le gouvernement du peuple par le peuple. Reste à recueillir la parole du peuple. Et à l’entendre.
Élections, piège à c**s?
Peu à peu dans nos sociétés démocratiques, le suffrage universel s’est imposé comme la manière la plus simple, la plus juste, d’exprimer la volonté populaire. Il a remplacé le suffrage censitaire : il fallait un certain niveau de revenu pour avoir le droit de vote. Universel ? Pas complètement. La moitié du corps social – les femmes – en a été écartée, chez nous, jusqu’en 1945. Jusqu’en 1974, il fallait avoir 21 ans pour être électeur. Aujourd’hui, certains demandent que l’âge minimal soit ramené à 16 ans.
Plus subtilement, le sociologue Daniel Gaxie a montré, dans son ouvrage Le Cens caché comment le suffrage universel se transforme pratiquement en un suffrage censitaire : les moins instruits, ceux qui connaissent mal le système politique s’excluent d’eux mêmes. Ils ne sont pas inscrits sur les listes électorales, ou, s’ils sont inscrits, ils ne votent pas. Ou bien encore, leur vote exprimera leur rejet global d’un système qui leur paraît étranger.
Le livre de Daniel Gaxie est quasi introuvable, mais, sous le même titre, vous trouverez en ligne un article de l’auteur.
Un électorat à séduire
Amener ces électeurs potentiels à venir ou revenir aux urnes est une ambition louable : tous les citoyens, sans exception, doivent pouvoir exercer leur droit au suffrage. Reste à définir les moyens pour atteindre cet objectif. Combien il est facile de jouer sur les idées toutes faites, les préjugés ou sur les peurs. Les démagogues en font leurs choux gras : quoi de plus facile que de stigmatiser les étrangers, les fonctionnaires, les technocrates, ou encore les élites ? Toutes ces idées sont relayées par des médias en mal d’audience et par les réseaux qu’on dit sociaux. Il est clair qu’il s’agit seulement de séduire, de tabler sur les émotions. Alors qu’il faudrait, je crois, amener les citoyens à prendre la mesure des enjeux et de la complexité des situations.
Sondages, pétitions, micro-trottoirs
Le rôle des médias (presse, radio, télévisions, réseaux sociaux, etc.) est massif dans la formation de l’opinion publique, mais il faut porter un regard plus précis sur des outils qui paraissent plus fiables. Quoi de plus sérieux qu’un sondage bien conduit auprès d’un échantillon représentatif, selon l’expression commune ? Oui, la statistique est puissante et elle a fait ses preuves, même si, régulièrement, les sondages préélectoraux sont pris en défaut face au vote réel. En réalité, le mal vient d’abord des questions qui amènent les sondés à donner un avis sur un sujet qu’ils connaissent mal ou pas du tout. Si les sondages sont parfois contestables, les micro-trottoirs en sont la caricature : on tend le micro à premier passant venu et on le somme de répondre à la question du jour. Et après le journaliste va monter une enfilade de réponses comme on enfilerait les perles. Les humoristes ont bien senti le ridicule de ces micro-trottoirs et savent les monter en épingle pour nous faire rire des interviewés sans nous nous agacer de la méthode.
Alors lançons une pétition… Pourquoi pas ? Je me rappelle la pétition qui avait été lancée pour le maintien des Festives Halles (je décline toute responsabilité dans cette pétition). Le résultat était couru d’avance : les pétitionnaires avaient massivement réclamé le maintien de la fête. Bien avant les pétitions en ligne, vous étiez sollicités dans la rue pour signer une pétition en faveur des déplacés de tel ou tel conflit, sans qu’on puisse voir où aboutissaient ces papiers. Et je me rappelle avoir reçu dans mon bureau de maire une pétition spontanée (?) sur la sécurité dans la ville… La liste des signataires était intéressante : des Vannetais, par exemple, avaient sûrement de bonnes raisons d’exprimer leur opinion sur le sujet. Comme plus récemment, la pétition en ligne pour la sauvegarde de l’environnement naturel de la Grée au Roc avait atteint près de 1200 signatures, pas toujours de Questembert : au 15 octobre, sur les 10 dernières signatures, 2 seulement venaient du code postal 56230, et l’une arrivait de Mont-Tremblant, une station de ski au nord de Montréal.
Cette pétition était sur le site les lignes bougent, qui n’est pas une plate-forme de pétitions tout à fait classique. Elle est liée à une même nébuleuse de sociétés suisses, propriétés du groupe Vivara, spécialisées dans la captation de données personnelles et le marketing, au travers d’une galaxie de sites et de newsletters portant autant sur la santé naturelle que sur le survivalisme, les cryptomonnaies ou les nouvelles masculinités. Le conseil économique, social et environnemental a labellisé trois plates-formes selon 3 critères (neutralité, protection des données, diversité des points de vue) : Avaaz, Change.org et Mes Opinions.
Le bon sens qui nous dispense du savoir
Mais tout cela est trop compliqué, il faudrait rechercher des solutions de bon sens, car, comme on l’entend tous les jours, on marche sur la tête, c’est tellement évident. Et surtout bien confortable de s’appuyer sur les idées toutes faites face à d’autres réflexions plus dérangeantes. N’essayer pas d’argumenter ; la réponse sera : Je veux pas le savoir !
Ponce Pilate s’en lave les mains…
Parmi ceux qui réclament l’appel au peuple, certains, qui nous bassinent avec les racines chrétiennes de notre pays, devraient se souvenir des récits de la Passion que nous ont transmis les évangélistes. Ponce Pilate interroge la foule, chauffée à blanc par les intégristes de l’époque : faut-il relâcher Jésus ou Barrabas ? Barrabas est un criminel avéré, mais la foule répond : Libérez Barrabas. Ponce Pilate cède à la Vox populi ! Et s’en lave les mains.