Qui a gagné ? Qui a perdu ?

Paul Molac a été réélu ; les partis de gauche sont le groupe le plus nombreux à l’Assemblée ; le RN est refoulé en 3ème position. Voilà déjà trois bonnes raisons d’être heureux. Mais, pas d’optimisme béat, il reste des raisons d’être inquiet.

Il n’a pas gagné, mais il voudrait le faire croire
Vous avez vous aussi sans doute écouté M. Mélenchon, ni candidat, ni élu, chef autoproclamé d’un mouvement gazeux (c’est lui qui le disait) sans adhérent. Il nous expliquait qu’il avait remporté la victoire. Et que, conséquence incontestable, le programme du nouveau front populaire, c’est-à-dire le sien, devait être appliqué dans sa totalité. Et pas question évidemment de discuter avec qui que ce soit. Pas de compromis ! Et ceux qui oseraient à peine envisager cette hypothèse seraient accusés de trahison !
En 1’47, voici l’argumentaire qui condamne définitivement les tièdes, les timides défenseurs d’un parole apaisée. Au pilori, sinon au bûcher, les hérétiques qui n’admettent pas le dogme du pape infaillible de la radicalité.

@guetteclemence

La force de l’insoumission est d’avoir rassemblé autour d’un programme radical. Quelle que soit la façon dont chacun s’exprime. L’espoir généré par la #NUPES n’a été permis que grâce à ce programme. Nous devons être à la hauteur de la colère du peuple. #FiersDetreInsoumis

♬ son original – Clémence Guetté

Élus, presque tous grâce aux désistements
Oui, les électeurs ont d’abord signifié, avec force, qu’ils ne voulaient pas des candidats du Rassemblement National en reportant leurs voix sur les candidats de la République, de la Démocratie. Et lorsque le 1er secrétaire du PS affirme que c’est le front républicain du NFP qui a permis au parti macroniste de ne pas perdre toutes ses plumes, il a parfaitement raison, mais il oublie que la réciproque est également vraie : sans les voix des centristes ou d’autres électeurs de droite, combien resterait-il de députés socialistes ? Et je n’aurai pas la cruauté de lui rappeler qu’avec des candidats socialistes, certaines circonscriptions étaient gagnables, mais qu’en 2024, comme en 2022, il s’est couché devant les oukases des Insoumis. On en a plusieurs exemples en Bretagne.


Ainsi, l’assemblée nationale apparaît aujourd’hui éparpillée façon puzzle, sans qu’aucun parti puisse revendiquer sans conteste la conduite de la politique du pays. Il n’y pas d’autre issue que de construire des compromis, de se mettre d’accord sur des éléments de programme.

La France ingouvernable ?
L’absence d’un majorité claire conduit certains à dire que depuis le 8 juillet la France serait ingouvernable. Ah oui, c’était plus simple (simpliste) quand l’élection amenait à l’Assemblée une armée de députés godillots (on dit maintenant députés playmobil). La constitution de la Vème république a beau dire que le premier Ministre conduit la politique de la France, la réalité du pouvoir est du côté de l’Élysée. Faut-il rappeler le limogeage de Rocard par Mitterrand en 1992 ? La phrase de Chirac : « je décide, il exécute » Ou encore, Sarkozy parlant de Fillon comme d’un collaborateur ?
Pourtant, cette situation parlementaire éclatée est celle que connaissent presque en permanence la plupart des pays démocratiques qui sont gouvernés par des coalitions autour d’un contrat de gouvernement âprement négocié entre les partis. Et quelquefois la négociation peut durer assez longtemps ; ainsi la Belgique a été 16 mois sans gouvernement entre les élections législatives de mai 2019 et la signature d’un accord entre 4 partis en octobre 2020 ; depuis fin 2021, l’Allemagne est gouvernée par la coalition du chancelier Olaf Scholz, qui associe 3 partis, sociaux-démocrates, libéraux et écologistes. En Allemagne, la pratique de ces coalitions, parfois surprenantes, est commune tant au niveau fédéral que dans les Länder. (Voir l’article Coalition en Allemagne).
La France a connu ces coalitions aussi bien sous la IIIème que sous la IVème République. Des situations sûrement imparfaites, mais qui n’ont pas empêché la reconstruction de la France après la guerre. Et pour construire ces coalitions, hier comme aujourd’hui, il faut de longues discussions, des négociations. Comme lorsqu’il faut préparer la feuille de match pour le club de foot : tenir compte des qualités individuelles, des forces collectives… et quelquefois des susceptibilités.
France ingouvernable ? Ce que j’entends dans cette interrogation, c’est comme un désir de régime autoritaire. Mais comme disait Churchill, la démocratie est le pire des régimes, à l’exception de tous les autres.

Un sursaut ?
Le second tour des élections législatives a été un sursaut républicain. Collectivement, nous n’avons pas voulu voir Bardella et ses affidés au gouvernement de notre pays. Ils n’ont pas voulu d’un parti qui prétend défendre la souveraineté de la France mais qui est inféodé à la Russie de Poutine. D’un parti qui veut séparer les Français par leur origine, par leur couleur de peau, par leur religion. D’un parti qui se proclame défenseur des petites gens mais qui a toujours voté à l’Assemblée nationale et au Parlement européen contre toutes les mesures sociales. D’un parti qui a refusé d’inscrire l’IVG dans la constitution et de protéger la liberté des femmes. D’un parti pour lequel les menaces du changement climatique ne seraient que des lubies sans fondement.
Il prétend défendre le peuple et il présente aux électeurs des candidats indignes : placement sous curatelle, condamnation pour prise d’otage à main armée, propos jugés « clairement racistes » envers les Maghrébins… Et pas simplement quelques brebis galeuses, comme l’a bafouillé leur président. De ces candidatures embarrassantes, le Quotidien La Croix a donné un florilège édifiant et on peut compléter la liste avec le Tour de France de la honte.

Un sursaut, mais surtout un sursis
Pourtant, les électeurs qui ont voté pour ces candidats ne sont pas tous racistes ni stupides. Ils ont exprimé une colère, une rage profondes. Ils attendent des réponses. Sur le pouvoir d’achat, sur les services publics de santé, d’éducation, sur l’accès au logement. Les réponses ne sont pas simples, sans doute pas à chercher dans un seul programme mais à construire dans des négociations compliquées. Si nous n’y parvenons pas le sursaut n’aura été qu’un sursis, car le ressentiment populaire naît aussi de l’incapacité des uns et des autres à tenir des promesses qu’ils ont faites, alors même qu’ils les savaient intenables. Les citoyens demandent du respect, aussi bien à travers des candidats qui méritent leur confiance qu’avec des programmes réalisables. Ça fait du boulot, et oui, (presque) tout reste à faire, comme le montre ce dessin d’Étienne Davodeau.