19 mars 1943, c’est un vendredi de carême, mais aussi la St-Joseph, donc la fête de Monsieur le Curé doyen, Joseph Niol, (il a sa rue aujourd’hui), la fête de l’école des Frères, l’école St-Joseph. C’est aussi, comme chaque année à cette date, la petite Communion, la première communion des enfants de 6 ans, qui n’est pas la première communion des jeunes de 12 ans, la communion solennelle, célébrée au mois de juin. Mais à la ferme, c’est un autre événement : le garde-champêtre est venu apporter un télégramme. Le père, prisonnier en Allemagne depuis juin 1940, va être libéré, il doit arriver le lendemain, samedi 20.
L’espoir déçu, puis comblé
Samedi 20, un des jeunes frères du prisonnier se rend à la gare. Mais il n’est pas à la descente du train. Pour toute la famille, la déception est cruelle, à la hauteur de l’espérance suscitée par le télégramme. Dimanche matin, la mère et les enfants se sont préparés pour aller à la messe comme tous les dimanches : la vie reprend dans sa triste banalité. Et puis, au bout du chemin de la ferme, au bord de la route, comme une apparition : Le voilà ! Imaginez le choc : au plus profond du désespoir, voilà que jaillit le bonheur des retrouvailles alors qu’on n’y croyait plus. Quatre-vingts après, la violence de de l’émotion trouble encore les témoins de ce moment.
Voir cette vidéo de l’INA, sans oublier que c’est un film de la propagande de Vichy.
Ils ne reviendront jamais
Les années 42 et 43 sont sans doute les plus noires de cette période sombre. Dans nos campagnes, bien peu de gens perçoivent les lueurs d’espoir nées des avancées américaines dans le Pacifique, des premières victoires des Alliés en Afrique du Nord, de la défaite des nazis à Stalingrad. Pour la plupart, la domination allemande est le seul horizon. Désespoir pour quelques uns, pour d’autres, le souhait à peine voilé d’une victoire définitive du IIIème Reich. « Les prisonniers, ils ne reviendront jamais, » explique le bon voisin, avec l’autorité du petit notable, qui se targue de porter à peu près le même nom qu’un général franquiste (sont-ils parents?). Et personne ou presque ne croit à la Relève, l’opération de propagande lancée par P. Laval.
La Relève et le STO
En juin 1942, Pierre Laval, chef du gouvernement de Pétain à Vichy, a présenté le marché ainsi : « Ouvriers de France, c’est à vous que les prisonniers devront leur liberté. … Le chancelier Hitler, et je l’en remercie, vient de décréter la libération d’un nombre important de prisonniers agriculteurs qui pourront revenir en France dès votre arrivée en Allemagne…. C’est la Relève qui commence. »
Les conditions de ce marché de dupes : trois volontaires pour un prisonnier libéré ! Malgré l’intense propagande, l’opération est un échec, comme le montrent les chiffres : sur les presque 2 millions de prisonniers, il seront à peine 90 000 à regagner leurs foyers. Dès septembre 42, Laval édicte une loi qui rend le volontariat obligatoire, par réquisition ! Et en février 1943, la loi crée le Service du Travail Obligatoire (STO), qui ne concerne plus seulement les ouvriers, mais tous les jeunes gens nés entre 1920 et 1922. Beaucoup vont vouloir échapper au STO : ils seront cachés ici et là dans les fermes, ils seront nombreux à rejoindre les maquis de la Résistance.
Note : Une autre façon de penser à l'histoire à partir d'un témoignage familial. Et l'occasion aussi de faire lien avec les réalités d'aujourd'hui.