Des responsables peu responsables, des citoyens sans civisme

La crise sanitaire que nous vivons a été une vraie révélation pour moi. Je savais déjà qu’en matière de football, nous avions chez nous presque autant d’entraîneurs/sélectionneurs que d’habitants, en tout cas autant que de téléspectateurs sur leur canapé, la bière dans la main gauche et le paquet de chips dans la main droite. J’ai découvert avec la pandémie du COVID-19 que nous avons aussi 50 millions de spécialistes en virologie, infectiologie, en santé publique, et bien sûr en futurologie. Je savais qu’il y en avait beaucoup au comptoir des bistrots – au temps où ils étaient ouverts ; j’ignorais qu’ils étaient aussi nombreux parmi les responsables politiques et chez les philosophes ou politistes patentés, parfois encouragés par d’authentiques savants.

Couvre-feu

Une grippette saisonnière ? Mais y a plus de saisons

Rappelez-vous, c’était seulement une « grippette » saisonnière qui allait nous laisser en repos dès que viendraient les beaux jours. Rien de tel qu’un peu d’hydroxychloroquine avec une pincée d’azithromycine – c’est bon pour tout – pour dissiper la fièvre. Et encore chez nous, on a échappé à la purge proposée par le président Trump, le commander in chief, lui aussi promu infectiologue/virologue : il suggérait de se faire des inhalations à l’hypochlorite de potassium (solution à 4 % NaCI + H2O + NaCIO). Si Richard Anthony était encore de ce monde (oui, on va me dire OK boomer!), il nous proposerait certainement son Sirop Typhon, dont on ne savait si c’était du mir-vaisselle panaché ou l’universelle panacée….

Les mêmes grands spécialistes nous ont dit que non, non, il n’y aurait pas de deuxième vague. Puisque c‘était une grippe saisonnière. Mais, comme vous le savez, y a plus de saisons… Quand la deuxième vague est arrivée, ils ont reproché aux autres de ne pas l’avoir prévue, ni anticipée.

A leur décharge, il faut dire que du côté du gouvernement, on n’a pas été bien malin : les masques étaient inutiles… puisqu’on n’en avait pas. Sur ce sujet, comme sur bien d’autres, la vérité d’un jour était une erreur le lendemain, avant de revenir le jour d’après.

Enfin chacun avait la bonne idée, la seule bonne solution, les autres avaient tout faux. Et l’on a entendu plusieurs de ces porte-parole autoproclamés des chefs de cliniques. Avec des changements de costume à vue : face, vous aviez une prestigieux chef des urgences d’un grand hôpital parisien, et pile, le même devenait un poids lourd du parti Les Républicains, complètement objectif sur le sujet, sans doute.

La COVID à pépère ? Gouverner par la peur ?

A côté des criailleries politico-scientifiques, nous avons eu droit aussi aux hypothèses les plus délirantes du grand complot. Passons sur ceux qui ont raconté que ce virus e était une invention maléfique des Chinois, de l’Institut Pasteur, du lobby du nouvel ordre mondial à la botte de Bill Gates et de Big Pharma. Moins ésotérique, mais aussi insidieuse était l’affirmation que cette maladie, somme toute bénigne (en tout cas tant qu’on ne l’a pas eue, n’est-ce pas M. Onfray?) était le moyen pour instiller la peur chez les pauvres gens afin de les manipuler et de les soumettre à une dictature douce. « Allons, ne soyez pas des moutons dociles, le pouvoir profite de la pandémie pour vous priver de vos libertés .»

D’ailleurs, la preuve : la maladie touche principalement les vieux, c’est le COVID à pépère, et les vieux sont et seront les électeurs les plus dociles… si on leur fait bien peur ! Etant moi-même assez avancé en âge, je dois dire que je n’ai pas trop peur pour moi ! Après tout, on verra bien. J’ai cependant pris quelques précautions au cas où : j’ai rédigé mes directives anticipées  pour éviter de finir ma vie à l’état de légume, comme Vincent Lambert.

Pour moi, c’est assez clair, mais autour de moi, il y a des gens que j’aime, plus âgés ou moins. Et j’aimerais bien les garder.

La misère des hôpitaux, les carences des EHPAD 

La crise sanitaire est un formidable révélateur de notre système de santé. Qui manque sérieusement de moyens tant en équipements qu’en personnel. Les gouvernants d’aujourd’hui ont leur part de responsabilité : le 3 avril de cette année, le directeur de l’ARS du Grand-Est estimait qu’il n’y avait pas lieu de remettre en cause la suppression sur cinq ans de 174 lits (sur 1 577 en 2018) et de 598 postes au CHRU de Nancy (sur environ 9 000) !

Pourtant, la misère des hôpitaux ne date pas d’hier, elle tire son origine principalement du mode de financement instauré en 2004, la T2A, la Tarification À l’Activité. Dans un assez large consensus des politiques de l’époque ! La T2A a conduit à la course à la rentabilité, au détriment de la prévention, par exemple.

Tout cela s’inscrivait dans un contexte de réduction des dépenses publiques (la RGPP!). Un exemple parmi d’autres : dès 2007, Eric Woerth, député LR de l’Oise, alors ministre du budget affirmait qu’il y avait trop de lits à l’hôpital et il récidivait en 2014. Voir cet article du Quotidien du Médecin.

Il y avait donc chez nos politiques, avec quelques nuances, un relatif consensus pour réduire la dépense publique. Je dis bien chez nos élus, car nous les avions choisis démocratiquement. Persuadés que nous étions, presque tous, que nous payions trop d’impôts ! Et qu’il fallait pour baisser les impôts, baisser les dépenses. Enfin pour préciser, nous étions presque tous d’accord pour qu’il y ait plus d’impôts… pour les autres.

En salle de réa (vidéo AP-HP)



Les vieux sont les premières victimes de l’épidémie. Et la plus forte concentration de vieux, c’est dans les EHPAD, les maisons de retraite. D’où, les risques de propagation rapide de la maladie. Le bon monsieur Ciotti a découvert tout à coup cette situation dramatique. « On a laissé mourir les vieux », s’indignait-il au mois d’avril. Et au terme de la mission parlementaire d’enquête qu’il a conduite, il étrille la gestion de la crise par le gouvernement et fait des préconisations de bon sens : les EHPAD sont insuffisamment médicalisés (pas assez de médecins, d’infirmiers, de soignants). Il ne dit pas où il trouvera l’argent pour ça, mais après tout, il n’est que député d’opposition. Irresponsables responsables.

Confiner… les autres

Tout le monde a à peu près compris que moins on a de contacts, moins on risque la contamination. Le confinement, plus ou moins strict, a montré son efficacité : il ralentit la dispersion du virus, sans l’arrêter, car le virus est toujours là, et, quoi qu’on fasse, il faudra qu’il n’y ait plus assez de cibles pour sa propagation, c’est-à-dire quand une majeure partie de la population sera immunisée (plus de 60%) , soit pour avoir été touchée par le virus, soit par la vaccination. A ce jour, selon l’Institut Pasteur cité par BFMTV, à peine plus de 10 % des Français ont été touchés (sans forcément avoir été malades), avec des variations régionales : 3,6 % en Bretagne et 21,3 % en Ile-de-France.

Il faudrait donc maintenir le confinement, mais j’ai l’impression que le confinement, comme les impôts, c’est bien… pour les autres. Chacun a de bonnes raisons pour justifier que son activité n’est pas plus dangereuse que telle autre, que le service qu’il rend est au moins aussi essentiel que tous ceux qui sont ouverts. Et chaque intérêt particulier va trouver un interprète officiel qui va nous montrer qu’il s’agit de l’intérêt général, et que les arbitrages rendus ne sont pas les bons.

Moi aussi d’ailleurs, je trouve que ce serait bien d’aller au cinéma, de retrouver les copains au bistrot, de faire un bon dîner dans un restaurant sympathique… J’attendrai !

Joue-la comme Zidane, euh comme Merkel

Nos nombreux experts en santé publique sont prompts à nous trouver des exemples de bonnes solutions. Assez peu cependant se sont risqués à nous proposer de suivre la conduite de Trump ou de Bolsonaro, mais on a entendu la petite musique nous invitant à attendre l’immunité de groupe (la herd immunity, l’immunité du troupeau, selon la délicate expression de Boris Johnson). Plus généralement, on a cité le bon exemple de la Suède, et voilà que ça marche moins bien. L’Allemagne aussi s’en sortait mieux, mais aux dernières nouvelles, la situation s’est dégradée dramatiquement.

Alors soyons prudents, pour nous et pour les autres, sans céder à la panique, ni croire aux balivernes des gourous et faux prophètes (malgré leur barbe fleurie) et méfions-nous des yaka-faukon : la situation est bien trop complexe pour les réponses simplistes.

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