L’expression est vieillotte, mais j’y ai pensé tout de suite en lisant le magazine municipal (p. 19) : dans sa tribune, une des oppositions en fait son attaque. Oui, c’est bien ça : faire un vélo, faire toute une histoire, monter en épingle une broutille, l’histoire d’un vélo rouillé, délabré, crevé même, volé au détour d’un chemin. Ah, non, il s’agit sûrement pas d’un voleur de grand chemin, d’un dangereux gangster. Peut-être quelqu’un qui pouvait en avoir besoin, (grand bien lui fasse!), ou alors qui espérait en tirer trois francs six sous sur leboncoin, ou encore, un plaisantin qui, reconnaissant le vélo, a fait une mauvaise farce à son propriétaire.
Un signal (très) faible
Comme s’il avait perdu les pédales, ou voulu se remettre en selle, le rédacteur de cette tribune a cru voir là un indice évident du climat d’insécurité qui régnerait à Questembert ! A défaut de bicyclette, il a enfourché son principal cheval de bataille (normal pour une cité équestre). Ce non-événement viendrait contredire le discours du maire. Sauf que le constat est clair : il a été présenté le 1er juillet à la réunion du CLSPD (Conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance), un conseil qui réunit, autour du maire, le sous-préfet directeur de cabinet de la préfecture, la gendarmerie, la police municipale, les chefs d’établissement scolaire. La presse en a rendu compte, mais peut-être bien que le journal n’écrit que ce qu’on lui dit d’écrire. Cependant, tout le monde peut aller consulter les données officielles du ministère de l’Intérieur, qui confirment totalement la baisse de la délinquance chez nous.
Il faut donc, pour les auteurs de la tribune, invoquer des données nationales, sans les vérifier ; ils écrivent : « au niveau national, les crimes et délits ont augmenté de plus de 20% entre 2023 et 2024. »
Eh bien, les chiffres sont faux ! Il suffit d’aller chercher quelques sources officielles, comme le site Vie Publique qui publie une synthèse des données sur la délinquance en 2024.
Cette note grand public se réfère au document plus complet du ministère de l’intérieur Insécurité et délinquance en 2024 Première photographie et Atlas départemental. Voir ci-dessous, les données pour le Morbihan (page 114 de l’atlas départemental).

Ah oui, mais l’insécurité ressentie ?
Les faits ne sont pas ce qu’ils disent, mais alors ? Citons encore ce passage de la tribune : « Ces chiffres viennent confirmer un ressenti partagé par beaucoup d’habitants, confrontés à une multiplication d’incidents : braquage d’un restaurant, coups de feu contre un bar, dégradations de véhicules, violences intrafamiliales en hausse… » C’est vrai que beaucoup d’habitants ont ressenti la hausse (réelle) des violences intrafamiliales ! Il est vrai aussi que si vous regardez le sondage du CSA réalisé à la demande de Cnews (une source fiable sans aucun doute!) : « 70% des Français considèrent «qu’il n’y a plus d’endroit en France où on puisse être en sécurité.»
Plus sérieux est le rapport publié en novembre 2024. pour l’année 2023 par le ministère de l’Intérieur : Vécu et ressenti en matière de sécurité 2023, victimation – délinquance et sentiment d’insécurité.
En effet, plus sérieux, plus complet, plus nuancé. Mais qu’importe tout cela, si l’on espère un bénéfice politique à susciter les peurs.
Faites-moi peur !
Et ça marche ! Surtout quand c’est relayé par un démarchage insistant d’une société de sécurité ; l’agent, dans une tenue qui ressemble à celle d’un agent public, un peu pompier, un peu gendarme, se présente ainsi : « Vu l’accroissement ces temps-ci des cambriolages, et des repérages, nous nous engageons à visiter tous les habitants… » Les responsables de l’entreprise avaient-ils vu le magazine municipal ? Non sans doute, c’est probablement leur façon habituelle de démarcher, car, n’est-ce pas ?, nous avons raison d’avoir peur.

Une tribune maladroite, guère plus
Je n’aurais pas pris le temps d’analyser cette tribune, ni d’approfondir la réflexion si elle ne s’était pas accrochée à ma petite histoire de voleur de bicyclette (celle que raconte Vittoria de Sica dans son film est bien plus forte).
Au moins, les auteurs de cette tribune ne se sont pas laissés aller à l’outrance : ils n’ont pas osé parler des fusillades ! Reconnaissons qu’eux ont su garder la mesure.
Ceci est une belle illustration de la loi de Brandolini: la quantité d'énergie nécessaire pour réfuter des affirmations fausse est supérieure ur à celle nécessaire pour les produire. Ainsi, s'il est facile de créer une fausse information — sur le fond et la forme — en quelques minutes, il faudra probablement plusieurs heures pour démonter chaque point et montrer la fausseté de l'ensemble.
