Fièvre immobilière, des questions, des solutions

La question du logement est une de mes préoccupations centrales. Et j’ai partagé mes réflexions dans plusieurs articles, que ce soit dans le bulletin municipal jusqu’en 2014, sur le site Questembert notre cité, puis Questembert créative et solidaire, et, depuis mon retrait de la politique active, ici sur ce site où je propose un « regard citoyen ». J’y ai parlé d’urbanisme, de ZAC, de logements sociaux, ou… de cimetière, d’aide à la pierre, de rénovation de l’habitat.

Première pierre au Clos Kisten, opération de rénovation urbaine

La campagne des élections régionales et départementales a mis le sujet sur le devant de la scène. Plusieurs listes régionales ont souligné la gravité du problème et tenté de proposer des solutions. D’autres, par aveuglement ou par excessive confiance dans la régulation par le marché, n’en ont pas parlé ou se sont contenté de réponses banales, en gros « on fera comme avant ». Il en va de même pour les élections départementales : ainsi la plate-forme de la majorité départementale sortante (page 2 de la profession de foi) évoquait seulement les résidences de personnes âgées et l’appui à la rénovation énergétique des logements existants.

Le logement pour la majorité départementale

Rien sur le problème global du logement, c’est-à-dire le foncier, l’urbanisme, les déplacements induits. Sauf la proposition de la liste UDB/EELV de créer un « statut de résident breton ». L’idée a provoqué des polémiques… Je trouve qu’elle ressemble trop à d’autres slogans d’exclusion comme la France aux Français, et pas aux migrants, aux étrangers. En Corse, ça se traduit I Francesi Fora, un graffiti qui voisine souvent avec I Arabi Fora. On me dit que non, que mon interprétation est biaisée, que j’ai mal compris. Reste un malaise, quand même.

Un excellent dossier du quotidien Ouest France

Heureusement, sans s’immiscer dans la campagne électorale, Ouest-France a choisi de mener une enquête approfondie sur l’impact que peut avoir la pression immobilière sur la vie quotidienne des morbihannais. L’article initial du 30 mai intitulé Immobilier hors de prix : quel impact sur la vie quotidienne des Morbihannais ? annonçait du lundi 31 mai au dimanche 6 juin 2021, un tour d’horizon des effets, ressentis ou méconnus, de cette tension, mais aussi des solutions possibles.

A Questembert, nous percevons très directement les effets de notre position en 2ème couronne de l’agglomération vannetaise et en « rétrolittoral » par rapport à la presqu’île de Rhuys. Tout ce qui est à vendre se vend au prix fort, les offres de location sont rares, même pour des biens de médiocre qualité.

Mais, comme le montre l’analyse d’Ouest-France, la pression immobilière se fait sentir jusque dans des territoires moins bien équipés que notre petite ville ou plus éloignés des zones d’emploi et des axes de circulation. Des territoires qui déjà se disent « abandonnés par la République » https://www.questembert-creative-solidaire.org/Territoires-abandonnes,1482.html

La pression immobilière tient en premier lieu à l’accroissement de la population (400 000 habitants, actifs et retraités, d’ici 2040), un phénomène amplifié par le desserrement des ménages (moins d’habitants par logement) et par la demande toujours forte de résidences secondaires. Mais sur ce dernier point, on pourrait dire que le mal est fait : 80 % des habitations sont des résidences secondaires à Arzon ! On y a créé des ghettos pour vieux riches !

Déplacements, mobilités, problèmes complexes, solutions multiples

La densité de circulation automobile induit une demande d’aménagements routiers, responsabilité départementale (voir mon article sur la D 775 Eléments de débat) sans pouvoir assurer une amélioration sensible de la situation. Demande accrue de desserte ferroviaire, de transports collectifs routiers, compétence régionale… mais l’offre, même améliorée, ne peut satisfaire tous les besoins : pas de voies ferrées partout, limitation des cadences pour des raisons de sécurité. (Loin de moi l’idée de défendre la remise en service de la voie Questembert-Ploermel, ou la reconstruction du chemin de fer local Locminé-Vannes-La Roche Bernard). Face à ces problèmes complexes, il faudra faire flèche de tout bois et rechercher des solutions multiples : covoiturage systématique, auto-partage, retrouver de la proximité pour les services essentiels, sécurisation des parcours piétons et vélos, etc.

Plus de logements ? Oui, mais comment ?

Nous avons donc besoin de plus de logements. Et sans doute, en utilisant mieux l’existant, dont il ne faut pas négliger la ressource… ni les difficultés. La construction neuve par an représente environ 1 % du parc total : en 2020, 381 000 logements autorisés (PC) pour un parc total de 37 millions (source INSEE)… Quand on construit, on devrait penser qu’on construit pour 70 ou 100 ans, ça n’exclut pas bien sûr les travaux de réhabilitation, de rénovation, les changements de destination. Mais justement, la réhabilitation de l’ancien ne va pas sans poser quelques problèmes : accessibilité, confort thermique, etc. La « longère » typique de la Bretagne rassemblait dans le même corps de bâtiments bêtes et gens, puis elle a été affectée au bétail… avant d’être rénovée… en résidence. Je vous laisse apprécier le volume des travaux nécessaires.

La construction neuve est plus visible, elle se heurte aujourd’hui, comme le montrent les articles d’Ouest-France, à la rareté du foncier. La réponse par les lotissements communaux trouve vite ses limites : doit-on se réjouir du succès du lotissement communal de Damgan? Doit-on aller jusqu’à la quasi-gratuité du foncier comme cette offre de terrains à bâtir à 1€ le m² à Pluméliau-Bieuzy. Pas sûr que ce modèle soit le plus soutenable comme on dit aujourd’hui.

Là, comme dans la version originelle de notre ZAC du Centre à Questembert, on aide l’accession à la propriété, avec une vision sociale… mais la maison réalisée peut se trouver ensuite sur le marché normal et offrir de belles plus-values. Et je ne parle pas bien sûr de la façon dont notre projet initial de ZAC a été dévoyé. Voir le paragraphe Assouplir les contraintes, mais pas au point de… de mon article d’avril 2018 sur la ZAC du Centre au conseil municipal.

Aide à la pierre, l’analyse implacable de la fondation Abbé Pierre

A la fois pour produire plus de logements et pour soutenir l’activité du secteur BTP (Quand le bâtiment va…) en orientant les capacités d’épargne, les gouvernements successifs ont développé des politiques d’aide à la pierre. On pourrait remonter à la loi Loucheur (1928) qui a permis aux particuliers d’emprunter à taux réduit pour acheter un terrain et y faire construire une maison (je crois qu’on a quelques exemples à Questembert). Plus près de nous, il y a eu les lois Méhaignerie en 1986 et 1994. Et puis, pratiquement chaque ministre en charge du logement a voulu apporter sa pierre à ces dispositifs : Périssol, Besson, Robien, Scellier, Duflot, Pinel, jusqu’au petit dernier, le Denormandie, qui en février 2020 « cherchait encore son public, » selon Le Monde.

Maisons Loucheur (doc univ Paris 1)

Des constantes pour ces programmes

Chaque année, la fondation Abbé Pierre publie un rapport sur le mal-logement. A plusieurs reprises, la fondation a montré les effets pervers de l’aide à la pierre, qui provoque la hausse des prix du foncier et qui souvent aide ceux qui ont des ressources à accroître leur patrimoine, aux dépens des aides plus directes au logement social. Je me suis inspiré de ces constats dans cet article de 2010 où je parlais du Plan Départemental de l’Habitat. Au passage, on peut se demander si le département du Morbihan a progressé depuis. En 2011, je revenais sur le sujet dans cet article, Encore le logement. Une autre source de 2011, le blog de l’OFCE, confirme malheureusement ce point de vue sur le Scellier.

NB Le rapport sur le mal-logement de 2021 (à télécharger ici) insiste sur les failles des programmes de rénovation énergétique.

Une France de propriétaires ?

Ceux dont parle la Fondation Abbé Pierre ne seront jamais des citoyens à part entière de cette France de propriétaires que M. Sarkozy appelait de ses vœux. Mais être propriétaire de son logement reste un désir profondément ancré dans notre société, et sans doute encore plus en ces temps d’incertitude. Il faut sûrement répondre autant que faire se peut à cette attente, en évitant, si possible, les dérives évoquées plus haut, et celles qui deviennent plus criantes aujourd’hui avec les tensions sur le marché immobilier, générant des plus-values étonnantes et des comportements spéculatifs à la fois sur les terrains, les constructions et bien sûr les loyers.

Pour les gens, la situation change radicalement selon que vous êtes du bon côté (bonnes ressources, patrimoine, etc.) ou du mauvais (faibles ressources, sans patrimoine). Et le contexte impose aux élus, ou à ceux qui aspirent à le devenir, de réfléchir sur des pistes d’action possibles.

L’action de la puissance publique

Savez-vous quelle est la première phrase du Code de l’Urbanisme ? La voici : « Le territoire français est le patrimoine commun de la nation. » Patrimoine commun ? Il semble que certains maîtrisent une part plus importante de ce patrimoine commun ! Le détail du Code de l’urbanisme apporte quelques corrections, car de ce patrimoine « les collectivités publiques sont les gestionnaires et les garantes dans le cadre de leurs compétences ». Par exemple dans le cadre du PLU (Plan Local d’Urbanisme) qui va définir où on peut construire ou pas.

Cependant, les PLU, même s’ils sont parfaitement construits, peuvent avoir des effets très inégalitaires : vous gagnez le gros lot si votre terrain est déclaré constructible ! Un terrain classé agricole vaut ce que vaut la terre agricole, c’est-à-dire de 1 500 € à 10 000 € l’hectare en Morbihan soit de 0,15€ à 1€ le m²! (source Terre.net). Classé constructible, non aménagé, le terrain voit sa valeur multipliée par 50, par 100. Du simple fait de la décision – justifiée, juridiquement validée – de la collectivité. Aucun propriétaire ne s’en est plaint et les acquéreurs potentiels doivent faire avec, ou s’en passer.

Je viens là d’enfoncer une porte ouverte. Mais cela explique aussi les protestations des « PLU-més », dont le terrain auparavant déclaré constructible s’est trouvé déclassé du fait des restrictions de la loi Littoral ou de la loi ALUR…

Des outils opérationnels : les ZAC

Les ZAC (Zones d’Aménagement Concerté) permettent aux communes d’agir efficacement sur des périmètres définis pour y prévoir des logements, des équipements publics, etc. La procédure est un peu lourde et longue, mais elle reste efficace, surtout lorsque les collectivités souhaitent intervenir sur des surfaces importantes. Déclarée d’utilité publique, elle permet, lorsque les négociations foncières n’aboutissent pas, de lancer l’expropriation. Agitée comme un épouvantail par les tenants du libéralisme pur sucre (ah, le respect de la propriété!), elle impose la vente, mais la vente se fait au prix du marché immobilier local, vérifié par un juge, et … la plupart du temps majoré de façon assez substantielle. Pour avoir mené une opération de ce genre, on m’a accusé d’installer les soviets à Questembert... et après d’avoir causé – très indirectement quand même — la mort d’une pauvre dame.

Après la ZAC du Centre (achevée en 2019 ! c’est souvent long), nous avions lancé des études préalables pour une ZAC multisites. Les avant-projets étaient prêts, mais ils sont restés lettre morte après les élections municipales de 2014.

ZAC multisites, scénario centre-ville (2013)

Les EPF, l’EPF de Bretagne

La loi a permis de créer, souvent au niveau des régions, des EPF (Etablissements Publics Fonciers) qui ont la faculté, sur la demande des communes et communautés de communes, de se porter acquéreurs de biens immobiliers, après négociation, et sinon, par expropriation. Cela permet des opérations de plus ou moins grande envergure. Une fois les biens acquis, l’EPF assure le portage financier sur une période de 5 ans, qui peut être raccourcie, ou prolongée par avenant, le temps pour la collectivité d’affiner son projet et aussi de trouver si besoin des partenaires (constructeurs privés ou publics) pour réaliser l’opération.

L’EPF de Bretagne a été créé en 2009, malgré l’opposition farouche de M. Goulard, maire de Vannes et président de l’agglo. Vous n’en êtes pas surpris, j’imagine. Sous ma responsabilité, l’EPF a pu acheter les propriétés James rue du Pont-à-Tan pour préparer le projet de maison médicale. L’EPF s’est chargé de la démolition des deux habitations très délabrées qui se trouvaient sur les terrains. Puis, en 2013, l’EPF, a acquis l’ensemble immobilier de la rue du Chanoine Niol où s’achève le projet du Clos Kisten. Là encore l’EPF a finalisé les négociations que j’avais bien entamées puis procédé à la démolition de ce qui était le collège Ste-Thérèse et l’ancien Cours ménager devenu l’ISSAT. Ces deux bâtiments n’étaient pas réhabilitables. Il n’y avait pas d’autre solution que de les détruire.

L’ISSAT avant la rénovation urbaine (exercice de pompiers)

Une solution innovante : les organismes fonciers solidaires

En fait on voit bien que la première difficulté pour produire de nouveaux logements est d’avoir accès au foncier. En effet, le coût de la construction varie assez peu d’un territoire à l’autre, sauf dans les îles ou dans les zones peu accessibles : le prix du parpaing est à peu près identique partout, de même que le mètre de cuivre. Cependant, pour construire, il faut un terrain, qu’on rentabilise mieux si on peut densifier et construire en hauteur, Trouver le terrain, c’est compliqué chez nous, moins en Bretagne intérieure que sur la côte cependant, mais dans les grandes agglomérations, et surtout en région parisienne, c’est presque mission impossible.

Prévus par la loi ALUR (2014), inspirés d’un modèle anglo-saxon, les Community Land Trusts, les Organismes de Foncier Solidaire permettent de dissocier le foncier et le bâti : l’OFS acquiert le foncier, en bénéficiant d’un prêt à très long terme de la Banque des Territoires – 60 ans et même parfois 80 ans – puis le confie par un Bail Réel Solidaire à un constructeur qui sera le propriétaire du bâti. Le propriétaire du bâti peut en jouir pour lui-même, le mettre en location, ou le revendre. Il paie une redevance pour l’occupation du foncier, cette redevance reste très modique. Pour Foncier Solidaire Rennes Métropole, cette redevance mensuelle est de 0,15 € TTC/m².  Voir cet article d’Ouest France Rennes : Devenir propriétaire en achetant les murs, mais pas le sol.

GMVA (Golfe du Morbihan Vannes Agglomération) va se lancer dans un OFS et j’ai l’occasion d’interviewer H. Le Pape, adjointe à Vannes, pour la Revue de l’Aric. C’est à lire ici Créer un organisme de foncier solidaire pour répondre à un besoin de logement.

Et si c’était une piste de réflexion à l’échelle de notre territoire? Même si je sais bien que l’action devrait se faire au niveau départemental ou régional.

Schéma de principe de l’OFS (doc GMVA)