« Je veux qu’on me rende mon argent. » C’était au somment européen de Dublin en 1979 ; Mme Thatcher, fraîchement choisie comme Premier Ministre par le parlement britannique, réclame un meilleur retour sur la contribution anglaise au budget européen. C’était déjà un signal fort de défiance vis-à-vis de l’Europe, défiance qui, renforcée par la folle propagande de UKIP et de Boris Johnson, a conduit au Brexit.
Si j’évoque ça au début de cet article, c’est que, malheureusement, cette même thématique « rendez-moi mes sous » vient polluer notre vie politique, et, singulièrement, les relations à l’intérieur des intercommunalités : je prendrai pour exemple le fonctionnement – ou plutôt les dysfonctionnements – de Questembert Communauté.
Oui, l’impôt est indispensable, il doit être réparti
On pourrait croire que cette attitude renvoie à la déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui justifie à la fois l’impôt et le contrôle citoyen.
Art. 13. Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.
Le citoyen doit contrôler l’usage de l’impôt
Art. 14. Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.
Art. 15. La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration.
En somme, le citoyen doit en avoir pour son argent ! Mais le contribuable oublie parfois qu’il n’est pas un individu isolé et que c’est collectivement, dans une société organisée, que doit se mesurer le bon usage – ou le mauvais – de l’argent collecté. Ainsi ce n’est pas parce que je n’ai plus d’enfant scolarisé que je ne devrais plus apporter ma contribution pour financer la nouvelle école, la restauration scolaire ; ce n’est pas parce que j’habite en campagne que je pourrais réduire mon impôt de la part de l’éclairage public ; ce n’est pas parce que j’habite en cœur de ville que je ne devrais rien pour entretenir la voirie rurale, etc. Ma contribution sert le bien commun, et, du coup, moi aussi, même si c’est dans une moindre mesure.
Qui paie pour quoi ?
Il n’est pas toujours facile de voir d’où vient l’argent et qui en bénéficie. Chacun pense qu’il contribue trop, qu’il paie trop d’impôt et que la contrepartie qu’il perçoit (en service ou en argent) est insuffisante. A une échelle plus vaste, Laurent Davezies a conduit des études sur la richesse et la pauvreté des territoires, en comparant le PIB par région… et les ressources dont bénéficient les ménages de chaque région : la redistribution des richesses compense largement la « pauvreté ». Et la région Île-de-France a la contribution nette la plus forte. Selon lui, « En l’absence de l’État, les territoires délaissés seraient littéralement vides. »
Et pourtant on entend se lamenter l’association des maires ruraux sur leur extrême pauvreté. Un rapide coup de sonde sur les données du ministère de l’intérieur montre pour 3 communes morbihannaises, une DGF (Dotation globale de fonctionnement) qui représente entre 30 et presque 40 % des ressources communales.
Les ressources de Questembert communauté
Il est possible de se livrer à l’exercice « d’où vient l’argent ? » Pour Questembert Communauté. Les deux ressources principales de la communauté de communes sont la dotation de l’Etat (la DGF) et les impôts locaux. Comme le montant de la DGF est lié au chiffre de la population, on peut admettre que Questembert (7557 habitants) apporte à la Communauté (23 990 habitants) à peu près 1/3 des 940 K€ de DGF. Pour les impôts locaux, il s’agit essentiellement de la TH (Taxe d’habitation) qui a été supprimée pour 80 % des contribuables et qui est remplacée dans les recettes de fiscalité locale par une dotation du montant des recettes d’avant. Pour 2021, la somme prévue est de 2,4 M€.
Cette dotation renvoie aux contributions d’avant et donc on peut y retrouver la part des Questembertois. En 2020, les bases de TH s’élevaient à 10,6 M€ pour Questembert et à 26,8 M€ pour l’ensemble de la Communauté, ce qui veut dire que sur le total de 2,4 M€, près de 40 % viennent des bases fiscales de la ville centre.
Plus subtile est la contribution de la commune centre à travers ce qu’on appelle les « charges transférées. » Quand la communauté prend une nouvelle compétence, parce qu’elle le décide ou parce que la loi le lui impose, on évalue ce que chaque commune a dépensé pour cette compétence dans les 3 années précédentes et on fait une moyenne ; la somme calculée est retirée du reversement de Taxe professionnelle (oui, ça date!). Ainsi, lorsque la loi NOTRe a imposé le transfert du terrain des gens du voyage à la Communauté, la CLECT (Commission Locale d’Evaluation des Charges Transférées) composée d’élus et appuyée par un bureau d’études a calculé que ce terrain des gens du voyage coûtait en moyenne 22 K€ à Questembert (conseil communautaire du 24 avril 2017), 22 K€ qui donc chaque année sont retirés du reversement de TP au budget communal depuis le transfert de compétences en 2017. Aussi lorsque, dans le rapport d’activités 2018 de la Communauté, vous lisez que le déficit du terrain des gens du voyage s’élève à 18 K€, il faut comprendre que ce déficit est largement couvert… par la baisse de notre attribution de compensation,!
Si l’on remonte un peu plus loin dans le temps, on se rappellera que, la plupart du temps, c’est la commune de Questembert qui dépensait le plus pour la piscine, la politique de l’enfance, etc… alors que d’autres communes parfois ne dépensaient rien ou presque, et qu’ensuite elles ont bénéficié sans bourse délier des services désormais financés par la Communauté. Des passagers clandestins, en quelque sorte.
Note : à la création de la communauté au 1er janvier 1998, la TP (Taxe Professionnelle) devenait un impôt communautaire, et non plus communal les communes recevaient une attribution de compensation qui a diminué ensuite avec les compétences nouvelles prises par la CC. Donc en 2018, Questembert recevait 6,071 MF (925 K€), en 2008, ce n’était plus que 735 K€, puis 375 K€ en 2016, et 355 K€ en 2017 après la compétence gens du voyage. Mais avant, il y a le transfert de la compétence Services de secours, de la piscine, de la politique enfance…
Rendez-nous l’argent ? Non, il ne s’agit pas de cela
C’est ironiquement que j’ai intitulé cet article avec la citation de Thatcher : « I want my money back. » Je voulais d’abord rappeler à des élus d’hier (et d’aujourd’hui ?) que la commune de Questembert n’a jamais fait porter le fardeau de ses dépenses sur les autres communes de la communauté ! C’est même le contraire, si on veut bien analyser le financement de la piscine, ou de l’Asphodèle. Et, pour moi en tout cas, c’est sans regret, puisqu’il s’agit de faire avancer collectivement notre territoire.
Mais surtout, cette attitude thatchérienne est un obstacle à tout progrès pour notre territoire. Chacun veut tirer à soi le plus possible d’avantages de la Communauté. Comme disait De Gaulle, ils préfèrent leur petite cuisine sur leur petit réchaud. Telle était, je crois, l’ambiance générale dans le précédent mandat : repli sur son clocher, manque de vision globale. J’ai l’impression que les choses ont changé, mais il faut que tout le monde se mette dans une attitude positive.
Vous avez raison : comment construire un projet, une ambition collective si chacun en reste à compter ce qu’il peut tirer de l’Europe, du Pays, de la Communauté de communes?
De temps en temps, il y a un comme un élan qui tire le groupe, l’Europe, la nation, le territoire au-delà des calculs à courte vue, mais la plupart du temps, c’est moi d’abord!