Le coup de pied de l’âne


Ça ne se passe pas chez nous, mais tout près. Dans son édition du samedi 11, Ouest-France consacre une demi-page à Elven, Sur 4 colonnes, le maire, qui a décidé de se retirer, fait le bilan, forcément positif, de ses deux mandats. Et il redit à peu près ce qu’il avait dit au conseil de septembre : « à la place [de mes adversaires] j’aurais déménagé. » Leur faute avait été de se faire prendre, comme quelque 1 500 collectivités ou organismes publics en France, au piège des emprunts toxiques. Bien commode pour disqualifier aussi bien le travail accompli par Marcel Le Boterff et ses équipes entre 1989 et 2014 que la légitimité de futurs candidats. Des élus de cette période ont trouvé indigne cette attaque. Ils ont raison : M. Gicquel ne peut pas ignorer la réalité des emprunts toxiques qui ont déstabilisé bien des mairies, et sa manipulation est infâme.

Le piège des emprunts toxiques
Comme beaucoup de communes, de collectivités, d’organismes publics, la commune d’Elven a souscrit des emprunts qu’on appelait structurés, c’est-à-dire complexes, compliqués. Donc incompréhensibles pour le commun des mortels, et aussi par les élus. Ils étaient adossés sur la parité FF ou Euro et Franc Suisse. Un gage de stabilité, de sécurité, etc. C’était en tout cas l’argument principal des commerciaux des banques, et en particulier de la banque Dexia, qui se présentait comme la banque des collectivités locales. Ce qu’elle n’était pas ! Sauf par captation d’héritage. En effet, la banque privée franco-belge est née de la fusion du Crédit communal de Belgique et du Crédit Local de France. De banque coopérative, le Crédit communal de Belgique était déjà devenu une banque comme les autres, ou presque ; quant au Crédit Local de France, créé en 1987 par la privatisation (Chirac, Balladur) de la Caisse d’aide à l’équipement des collectivités locales (CAECL), un établissement public sous la tutelle de la Caisse des Dépôts, il pouvait presque passer pour une agence de l’Etat.
Tout pour inspirer confiance. Mieux, dans les réunions de l’Association des Petites Villes de France (APVF), DEXIA se présentait comme LE partenaire des collectivités locales.

Ayez confiance !
Ces propositions alléchantes venaient à point nommé. Les villes, les communes étaient invitées à une gestion active de la dette. Au milieu des années 90, les taux bancaires avaient beaucoup baissé, et il était intéressant de renégocier auprès des prêteurs des emprunts à taux élevés. Un exemple, notre commune avait un emprunt des années 80 à 12,5 %, un taux normal pour l’époque. La banque (le CMB) avait accepté la renégociation, avec des pénalités presque symboliques.

Attention : ce taux n'a rien de surprenant, et ce n’était pas le signe d’une mauvaise gestion de la part des élus de l’époque qui avaient souscrit un emprunt à un taux normal. La mauvaise gestion aurait été de ne pas chercher à le renégocier. 

Dans ce contexte, beaucoup de communes ont saisi ces propositions séduisantes. Dans le Morbihan, Elven, mais aussi Ploërmel que dirigeait Anselin, Grand-Champ, Theix, Guer, dont les maires ne peuvent passer pour de mauvais gestionnaires.

Un dessin de Deligne

Et voilà la catastrophe
Calés sur le franc suisse, élaborés par des spécialistes de la finance, ces prêts ne pouvaient pas déraper ! Et pourtant si! L’alerte avait été donnée dès 2008 par le président du département de Seine-Saint-Denis, mais la bombe à retardement a réellement explosé en 2015, quand la hausse du franc suisse a fait flamber les taux d’intérêts. Pour Elven, du jour au lendemain, le taux passe de 13,70 à 26 %, soit une augmentation de plus de 130 % des intérêts à payer, qui passent de 300 000 à 700 000 euros. Pour la ville de Montoire-sur-le-Loir (Loir-et-Cher) le taux bondit de 16,50 % à 28,79 %, quand celui du Syndicat intercommunal pour la destruction des résidus urbains (SIDRU), basé à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines) explose littéralement de 38,31 % à 65,61 %.

Pour ceux qui voudraient approfondir, je recommande la lecture de cette note de l’Association Europe Finances Régulation EMPRUNTS « TOXIQUES » : QUEL SCANDALE ? 
Graphique Ouest-France 31/01/2015
Cette infographie présente une projection du coût des emprunts toxiques de la ville, en fonction de la parité entre l’Euro et le Franc suisse. Jusqu’au 14 janvier (1 € = 1,20 FCH), les emprunts coûtaient 647 000 € tous les ans. Le 15 janvier, le Franc suisse a chuté à 1 € de parité avec l’Euro, les emprunts pourraient donc coûter 1,243 million cette année. D’une hauteur de 4,88 millions, ces emprunts représentent 32 % des dettes de la communes (14,8 millions d’euros au total).

A Questembert, nous y avons échappé !
Non que je sois plus malin que les autres ! D’abord parce que j’ai été bien conseillé par le DGS et par la représentante du Trésor Public : si ce n’est pas clair, il vaut mieux s’abstenir ! Et j’ai eu deux moments d’alerte. D’abord, en voulant renégocier des prêts dont les taux étaient trop élevés. Avec les banques locales, Crédit Mutuel, Crédit Agricole, Caisse d’Épargne, la négociation portait sur les pénalités prévues en cas de remboursement anticipé : chacun cédait un peu sur l’application du contrat. Avec Dexia, pas de négociation : il fallait payer la totalité des intérêts à courir, donc aucun avantage. Puis, à un congrès de l’APVF, j’avais interpellé publiquement la représentante de DEXIA qui nous vantait les conseils éclairés et les belles prestations de son établissement : « Madame, vous vous targuez d’être de bons partenaires des collectivités, mais vous refusez systématiquement toute renégociation de prêt, alors que les banques locales acceptent volontiers. Elles offrent un autre avantage au niveau du territoire : elles ont des salariés chez nous, elles paient des impôts locaux chez nous. ». A la pause, elle m’avait expliqué que sa banque n’avait pas de fonds propres et qu’elle se refinançait sur les marchés, bla, bla, bla.
C’en a été fini des relations avec DEXIA. À chaque visite de son représentant qui venait de Quimper (je n’ai pas oublié son nom), je lui disais :  « Avez-vous à me faire une proposition meilleure que la dernière fois ? Non ? Eh bien, inutile de vous asseoir, au revoir Monsieur. »

Un vrai coup de chance : pas d’emprunt toxique
Ni la commune, ni la communauté n’ont souscrit de prêt de ce genre. Les élus d’Elven n’ont pas eu cette chance, ils ont été roulés dans la farine comme bien d’autres. Ça ne fait pas d’eux de mauvais gestionnaires, ni des tocards condamnés à l’exil. Avec un peu d’honnêteté, le maire sortant pourrait reconnaître tout le travail accompli au temps de Marcel Le Boterff, qui était bien plus modeste en 2014 en annonçant sa retraite. Il ne prétendait même pas avoir donné de nouvel élan à sa commune. Mais l’expression n’était pas encore à la mode.

Une réflexion sur « Le coup de pied de l’âne »

  1. Merci Paul pour cette mise au point claire et précise. Rappelons qu’en Islande ce sont les banquiers qui ont été punis… de prison. Et pourquoi Dexia a-t-elle refourgué ses emprunts nauséabonds aux collectivités et non pas aux entreprises (très peu)? Parce que les collectivités sont toujours solvables !
    Par ailleurs, la piste des poursuites judiciaires a été abandonnée très rapidement lorsque l’état a « accompagné » les communes leur faisant signer un engagement à ne pas poursuivre les banques.
    Le maire d’Elven est incapable d’une analyse objective de la situation, sa suffisance l’en empêche !
    Bien amicalement
    Marc Dalberto

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