Articles de presse, livres, études universitaires, les nouveaux ruraux sont au cœur des débats ces temps-ci. Et récemment, le réseau rural breton présentait le troisième webinaire sur le thème Nouvelles ruralités, nouveaux ruraux, webinaire qui était consacré à Celles et ceux qui arrivent. Questembertois depuis plus de 75 ans, sauf pour les quatre années en Ontario au Canada, j’ai vu notre commune se transformer en profondeur aussi bien par le départ des nés-natifs que par l’arrivée des nouveaux habitants.
Qui sont-ils ?
Ils sont nombreux ! Les chiffres des recensements nous le confirment. Entre 1962 et 1990, la population passe de 4068 à 5076 habitants, en gros 25 % de croissance, qui viennent après des années de stagnation ; puis entre 1990 et 2020, de 5076 à 7937 : une augmentation de plus de 50 % sur une durée comparable. Une augmentation qui n’est évidemment pas due au solde naturel (excédent de naissances par rapport aux décès), mais au solde migratoire. En 2006, nous avions fait réaliser par les étudiants de l’IUT un sondage (657 personnes interrogées) : 46,5 % des personnes sondées n’étaient pas à Questembert quinze ans auparavant, en 1990 donc.
Une transformation massive de notre population. Les plus anciens Questembertois s’en rendent compte quand ils regardent les informations d’état-civil (naissances, obsèques) ou les listes électorales (documents publics accessibles à tous) : tel nom renvoie à telle famille, à tel village ou, au contraire, n’évoque pas grand-chose au niveau local.
Une part de ces nouveaux arrivants sont des retraités qui viennent – ou reviennent – de grandes villes ou d’autres régions. D’autres, venant de communes plus rurales, se sont installés pour se rapprocher d’une petite ville centre. Et aussi en fonction de leur emploi, sur place ou à une distance qu’ils considèrent comme raisonnable. Ce qui amène une population plus jeune, des parents avec des enfants qui fréquentent nos écoles.
Pourquoi s’installer à Questembert ?
Au-delà de ces premières intuitions, on peut approfondir ce qui fait l’attrait de notre petite ville. Je m’étais interrogé sur sa centralité dans cet article De quoi notre petite ville est-elle le centre ? Plus récemment, suite à un article du Figaro qui classait Questembert au quatrième rang des petites villes bretonnes, j’avais publié À Questembert, il fait bon vivre. Sans y revenir en détail, rappelons que le prix de l’immobilier est plus accessible qu’en première couronne vannetaise ou en proximité de la mer, et qu’il est compensé par les aménités et les multiples services offerts à Questembert. Une anecdote personnelle : je vois un jeune médecin remplaçant qui m’explique qu’avec son épouse ils sont arrivés presque par hasard à Questembert dont ils ont découvert les nombreux atouts, la gare étant un élément majeur !
Il ne faut pourtant pas négliger d’autres motivations : on quitte la grande ville parce que le logement y est inaccessible, et globalement la vie trop difficile. On pourrait dire que l’erreur est urbaine et qu’on peut rêver de redonner du sens à sa vie en fuyant la concentration et la promiscuité. Avec l’illusion que ce sera plus facile en zone rurale. Malheureusement, la déception est grande quand les rares logements trouvés sont de médiocre qualité et qu’il faut sans cesse recourir à la voiture pour les déplacements.
Note : Dans mon article Le rêve de l’impossible retour en arrière, j’avais évoqué le roman de René Barjavel Ravage qui raconte l’effondrement d’une ville surdéveloppée, rongée par la violence et le crime et le retour à la sérénité de la campagne pour le jeune héros Jérôme Deschamps.
Ce qu’ils apportent
D’abord, ces nouveaux habitants nous apportent de la richesse. Ce sont les bénéfices de l’économie résidentielle : des salaires, des pensions, des revenus.
Note : L'économie résidentielle (voir site du Sénat) peut être définie comme l'ensemble des activités économiques majoritairement destinées à satisfaire les besoins des populations résidant sur un territoire. S'appuyant sur la consommation locale, elle s'oppose aux activités économiques dont l'existence dépend majoritairement d'une demande extérieure au territoire et qui sont soumises à la concurrence des activités économiques identiques présentes sur d'autres territoires. L'économie résidentielle a pour caractéristique de ne pas être soumise à une forte concurrence extérieure, même si, au sein du territoire concerné, la concurrence entre les activités résidentielles existe. Répondant aux besoins locaux des populations, elle n'est donc pas sujette à délocalisation. L’étude sur les Côtes d’Armor, même si elle est ancienne, éclaire bien le sujet.
Mais ils nous confrontent aussi à d’autres modes de vie, d’autres schémas mentaux. Cela peut provoquer des tensions, comme entre une vision sacrée de la campagne, de la nature et une conception trop strictement économique, utilitaire sans nuance. D’où ces actions de communication comme celle que mènent des agricultrices de Résagri qui ont publié un petit guide du bon voisinage.
Un retour sur quelques années montre combien les nouveaux arrivants ont contribué à faire bouger notre commune. Si pour une partie d’entre eux, il s’agit simplement de profiter des aménités et des avantages de notre territoire, d’autres se sont investis dans la vie communale. Citons la création d’une antenne des AVF (Accueil des Villes Françaises), d’une AMAP, et plus récemment, l’ouverture d’Ecol’eau Graines ou le projet d’agroforesterie à Bocquiniac.
Projet agroforestier de Questembert en Bretagne.
Et je n’oublie pas leur investissement municipal. Par exemple, en 1989, le maire élu, Bernard Thomyre, est un retraité qui revenait au pays de son enfance ; en 2014, la majorité qui l’emporte est conduite par une retraitée assez récemment arrivée à Questembert et une bonne part de son équipe n’a pas d’attaches directes sur le territoire. Le conseil municipal élu en 2020 est aussi représentatif de l’investissement local des néo-questembertois.
La fin des allégeances figées
Ces nouveaux arrivants ont donc moins d’attaches directes locales : ils ne sont pas liés, corsetés même, par des réseaux de familles, de voisinage, de pratique religieuse, sportive. Là encore, je pense à une anecdote de 1995. La présence d’un de mes colistiers a surpris : comment lui, si fortement attaché à un club sportif, qui était d’abord un patronage, avait-il pu rejoindre une liste de gauche ? Et tout récemment, en 2020, sur les réseaux sociaux, quelqu’un m’a reproché en quelque sorte d’avoir renié l’éducation – très catholique – que j’avais reçue (et gratuitement en plus!), d’avoir brisé une allégeance qui s’imposait à moi. Mais les liens familiaux – cousinages à la mode de Bretagne – sont probablement les plus forts pour les anciens Questembertois et imperceptibles, incompréhensibles même, pour les nouveaux. C’est peut-être le changement le plus profond pour notre commune.