La Rose et le réséda ? Ce n’est plus ça

C’était en 1943, la France se relevait sous la botte de la (vraie) dictature nazie, et dans ce poème puissant, Louis Aragon invitait « celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas à s’unir dans la Résistance (je mets une majuscule au mot) : la rose rouge de la gauche et le réséda blanc des royalistes et des catholiques. Voilà qu’aujourd’hui, le thème de la résistance ressurgit, dévoyé jusqu’à la nausée.

Un beau poème

Le texte est souvent proposé dans les classe de lycée, et on le trouvera avec des commentaires ici sur le site reseau-canope.fr du ministère de l’éducation nationale.

Il a été mis en musique de façon à la fois simple et puissante par Bernard Lavilliers.

Une caricature

Ils voudraient nous rejouer, sans vergogne, cette unité du combat contre l’oppression. Et c’est vrai que les cortèges du samedi voient se mêler les plus acharnés des réactionnaires et les plus exaltés des « révolutionnaires », avec une prégnance incontestable des premiers, qui se proclament « patriotes » et défenseurs de la liberté. Comme le montre cette photo de l’AFP diffusée par l’Express.

Une photo de l’AFP à la manifestation du 17 juillet

La caricature va jusqu’à assimiler l’obligation du passe sanitaire au port de l’étoile jaune imposé aux Juifs par le régime du maréchal Pétain ! Etrange retournement : les héritiers des oppresseurs s’affublent des stigmates de leurs victimes. Car les racistes et les antisémites étaient bien visibles dans les manifestations et ils sont massivement présents sur les réseaux sociaux.

Un temps déraisonnable ?

« C’était un temps déraisonnable, on avait mis les morts à table. On prenait les loups pour des chiens. » C’est dans un autre poème d’Aragon (Ainsi que les hommes vivent?) Des mots qui me reviennent sans cesse. De voir des gens dont j’ai été proche, qui, souvent, me reprochaient d’être d’un rose trop pâle, défiler derrière les mêmes bannières, crier les mêmes slogans, en compagnie des militants de la manif pour tous ou du réseau Voltaire (pauvre Voltaire), des prétendus défenseurs de la laïcité, me trouble profondément. Des militants d’Attac, plus à gauche que moi tu meurs, par exemple. D’où vient cette confusion ?

Vivons-nous en dictature ?

Avec raison, nous nous plaignons souvent des imperfections de notre régime politique, la démocratie, le gouvernement du peuple par le peuple, comme le dit l’article 2 de la constitution de 1958. Le principe est affirmé, la pratique est plus délicate, au point que régulièrement, la constitution est amendée, réformée, au point même que certains proposent de préparer une 6ème République à travers une assemblée constituante. Et pourquoi pas, si le peuple en décide ainsi… par ses votes ?

Certains aussi se réclament de la VRAIE démocratie. L’expression me rappelle trop la VRAIE foi, la VRAIE religion. Bien des crimes se commettent au nom de cette VRAIE religion, étant bien entendu seule est vraie la religion qui est la mienne et celle des miens.

Les fondements de la VRAIE démocratie sont tout aussi mythiques que ceux des religions qui se revendiquent comme seules vraies. La référence de base est la démocratie de la Grèce antique, celle du temps de Périclès. Il y aurait beaucoup à dire sur le sujet. En deux mots, la démocratie athénienne avait elle aussi bien des imperfections.

Laissons à l’extrême droite, les vociférations contre ce qu’elle appelait dans les années 30 la Gueuse, et maintenant la Ripoublique, qui trahirait le « pays réel » comme le disait Maurras.

Je suis tout de même effrayé de voir repris par des militants de gauche le discours démagogique sur la corruption des élites et des élus. Pour en avoir fréquenté quelques uns, je peux dire que la plupart sont honnêtes (ils peuvent avoir d’autres défauts!) et que les voyous sont une infime minorité !

Plus subtile est l’apparition des deux mots démocrature et dictamolle. Notre démocratie imparfaite, toujours décevante, évoluerait aujourd’hui vers l’une ou l’autre de ces dérives. La démocrature serait une dictature qui garderait les signes extérieurs du fonctionnement démocratique, comme par exemple des élections. Avec comme exemple canonique la Russie de Poutine : les dernières élections qui viennent de s’y dérouler en sont une démonstration éclatante. Quant au mot dictamolle, il veut désigner un gouvernement autoritaire où la démocratie n’existe plus ou se trouve sur le point de disparaître. Et ces deux mots sont d’usage commun chez certains ténors de la gauche. Ce qui malheureusement rapproche leur discours de celui de la droite extrême.

Ils combattent pour la liberté ?

La mot liberté est omniprésent sur les bannières, les banderoles, les pancartes des manifestations, il revient sans cesse dans les prises de parole des leaders ou des simples marcheurs du samedi. En fait, il est clair que ces manifestants anti pass sanitaire sont majoritairement anti-vax qui défendent une liberté strictement individuelle, celle de faire « ce que moi je veux. » Et tant pis pour la santé publique et le bien commun.

Et pourtant, il y a beaucoup à dire sur la gestion de la crise

Ne croyez pas que je veuille dans cet article chanter les louanges de la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement de M. Macron, ni non plus de sa pratique « verticale » ou « jupitérienne » du pouvoir. Y a-t-il eu un vrai débat sur le pass sanitaire ? Non, il a été imposé à la va-vite, avec un objectif à peine avoué de pousser les gens à se vacciner. Par manque de courage ? Pour ne pas aller jusqu’à l’obligation vaccinale pour tous comme le demandent le PS  et, du bout des lèvres, le PC ? Il est vrai que c’est commode d’afficher du courage politique, quand on n’est pas au pouvoir.

J’aimerais bien d’ailleurs que les autres dirigeants de gauche aient des positions plus claires sur la vaccination obligatoire (elle devrait l’être pour les professions médicales) et se montrent plus raides avec ceux qui refusent le vaccin, car c’est un fait incontestable : le vaccin est la seule arme efficace contre la pandémie, comme le disait Laurent Berger de la CFDT dans cette interview à France Inter.

Bien loin du message du poème d’Aragon

Aragon invitait les Français à dépasser leurs différences pour affronter les nazis et défendre la liberté. Aujourd’hui, des dirigeants de gauche et des militants sincères – du moins je le crois – s’acoquinent avec les forces réactionnaires et les partisans du TPMG (tout pour ma gueule). Désolant.

3 réflexions au sujet de « La Rose et le réséda ? Ce n’est plus ça »

  1. Nous sommes en accord avec ton analyse et ressentons les mêmes préoccupations sur les sujets que tu abordes. Mais peu d’intellectuels developpent ces thèmes permettant une réflexion plus structurée que ce que les médias nous proposent.
    Bien amicalement.
    Michelle et Francis.

    1. Merci de ce message; il est vrai qu’à suivre ce débat sur les réseaux sociaux, je me sens un peu désespéré de voir des amis, militants de gauche sombrer dans le confusionnisme et le complotisme. Un peu d’antidote comme ça, ça fait du bien.

  2. Pour continuer et approfondir la réflexion, je vous invite à lire cet article de Telos.eu
    La liberté sinon, rien : le nouveau combat du populisme
    https://www.telos-eu.com/fr/la-liberte-sinon-rien-le-nouveau-combat-du-populis.html

    Un extrait :
    « L’oriflamme de la liberté individuelle sans limites brandie par les anti pass apporte toutefois une touche inédite au populisme. Derrière Nuit debout et les Gilets jaunes on pouvait repérer des questions sociales : dans un premier cas, le déclassement et l’amertume de catégories diplômées et déclassées, dans le second, les conditions de vie difficiles de « petites gens ». Derrière l’appel à la liberté individuelle et l’opposition au pass sanitaire, rien de tout cela. Juste une conception planante de la vie en société, celle d’un « moi » posé sur son Olympe. »

    Telos est une agence intellectuelle fondée en décembre 2005 par Zaki Laïdi, avec Lionel Fontagné, Charles Wyplosz, Richard Robert et Jean-Christophe Boulanger. Elle est présidée depuis 2015 par Gérard Grunberg.

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