Élu local, un métier impossible ? Tel était le titre de l’intervention de Christian Le Bart, professeur de Sciences politiques à IEP de Rennes, devant l’assemblée générale de l’ARIC à St-Méen-le-grand. Un titre un peu provocateur, mais une réflexion de fond sur le sens de l’engagement des élus locaux, maires, conseillers municipaux, conseillers communautaires. Une réflexion qui peut être utile aux élus d’aujourd’hui, aux candidats de demain, et à tous les citoyens.
L'ARIC (Association Régionale d'Information des Collectivités) est une association pluraliste d'élus qui a pour objet depuis sa fondation en 1971 de former les élus. J'ai suivi des formations, j'ai été membre du conseil d'administration, désormais, je participe au comité de rédaction de la Lettre de l'Aric, destinée aux élu.es, mais accessible à tous. Je vous recommande d'installer l'appli de l'ARIC sur votre téléphone.

Un changement d’époque
Face à la réalité de leur mandat, les élus éprouvent un sentiment d’abandon. Abandonnés par l’État, qui leur impose de plus en plus de contraintes et réduit leurs moyens. Abandonnés par les habitants (de moins en moins citoyens) : les maires, qui jusqu’ici étaient les seuls acteurs de la politique à garder la confiance, semblent l’avoir perdue, au moins partiellement. Ils font face à des habitants de plus en plus exigeants pour leur intérêt particulier, de plus en plus vindicatifs, avec des comportements qui dégénèrent en violence verbale ou physique. Et l’on constate un assez grand nombre de démissions.
Crainte de manque de candidats (effet de mode aussi)
Ah le beau temps où les maires étaient adoubés d’une double légitimité ; démocratique, par l’élection, institutionnelle parce qu’ils représentaient l’État, avec l’idée partagée d’une hiérarchie qui descendait par le préfet, le député, le sénateur, le conseiller général jusqu’au maire et aux conseillers municipaux. Une idée qui persiste encore : le président du CD d’Ille-et-Vilaine a parlé des courriers qu’il reçoit de citoyens qui n’ont pas obtenu du maire la satisfaction de leurs intérêts et qui vont voir plus haut !
Pourtant la fonction de maire accorde encore une rétribution symbolique. Pas de rétribution pécuniaire, non ! Les indemnités restent trop faibles au regard du temps passé et de l’engagement consacré. Il reste encore un peu de cette reconnaissance, mais peu à peu, le citoyen devient indifférent, et parfois méprisant (tous pourris?). En conséquence, la crainte qu’on manque de candidats revient… comme la dernière fois.
Que reste-t-il de la commune ?
La mode est à dénoncer le millefeuilles territorial. On n’y comprend plus rien ! Marotte démagogique, populiste ; sans en connaître le détail, le citoyen fait la différence entre la commune, le département, la région, même si il y a du flottement sur le rôle de la commune et de la communauté de communes. Plus au fond, il faut voir comment l’ancrage territorial a changé : il était autour de la mairie et du clocher, on vivait dans une société de voisinage; maintenant, le citoyen est écartelé entre le lieu de résidence (où il dort, et vote la plupart du temps), le lieu du travail, les lieux de consommation et de loisirs. Ce flottement est encore plus marqué pour les jeunes, de plus en plus mobiles. D’ailleurs, leurs engagements sont plutôt au niveau de la société globale, ils ne voient pas l’intérêt de l’action locale. Ils y reviennent partiellement plus tard, quand ils ont des enfants et que se pose la question de la garde, de l’école, des activités périscolaires. Et globalement, les groupes sociaux les plus aisés, les plus diplômés sont aussi les plus mobiles, les moins attachés à un territoire.
L’ingratitude des citoyens
Même les élus locaux, censés être les plus proches, sont désormais assimilés à la classe politique, qui est vue comme centrée sur ses propres intérêts (l’argent, les indemnités). Ils ne sont même plus considérés comme des interlocuteurs. La crise des gilets jaunes en a donné une illustration éclatante : sur les ronds points, on ne s’adressait qu’à Macron, pas aux élus locaux ! Et dans le grand débat, ils étaient appelés à les organiser, mais pas à donner leur avis. Les cahiers de doléances, – bien rangés dans les placards – n’étaient destinés qu’à la présidence, au souverain !

Un populisme d’ambiance
Le populisme d’ambiance, selon l’expression de Pierre Rosanvallon, sape ce qu’il appelle les institutions invisibles, la confiance, l’autorité, la légitimité. Ce populisme valorise tout ce qui n’est pas les élus : associations, entreprises, société civile, les vraies gens. Les élus – tous les élus – seraient déconnectés, hors-sol ! Au point que puissent être justifiées les violences collectives ou individuelles.

Quelles réponses à cette situation ?
La première est de faire profil bas : ne plus s’afficher comme élu, surtout gommer les étiquettes partisanes devenues honteuses. Il y avait autrefois les listes de défense des intérêts communaux (défense contre qui, d’ailleurs?), nous avons maintenant des listes sans étiquette, a-politiques, citoyennes. Sous cette apparente neutralité, il est assez facile de reconnaître ici, un faux-nez de l’extrême-droite, là, un masque transparent pour des militants d’ultra-gauche, ou un cache-sexe mal ficelé d’opportunistes sans colonne vertébrale.
La deuxième tendance prétend retourner aux sources de la démocratie. Grâce à la participation citoyenne. Les limites en sont connues : les participants sont souvent les mêmes, ils représentent une part minime de l’ensemble des citoyens. Et les démarches prétendument participatives ne donnent pas assez de place à la formation et à l’information des citoyens. L’exemple le plus abouti est sans doute celui des conventions citoyennes (sur le climat, sur la fin de vie). Mais qu’en est-il ressorti à la fin ?
Cependant, d’autres pistes méritent d’être explorées pour améliorer ces méthodes de participation : usage des ressources numériques, jurys citoyens, sans oublier les comités de quartier (sans doute la réussite la plus large). En résumé, tout ce qui peut concourir à sortir chacun de son intérêt particulier. Et je donnerai un exemple local : participer à l’élaboration du PLU intercommunal, en cherchant à comprendre les enjeux complexes du territoire et ne pas se contenter de la question : mon terrain sera-t-il constructible ?
En tout cas, le référendum – même s’il se dit d’initiative citoyenne – est probablement l’exact contraire de ce que pourrait être la démocratie participative.
Enfin, la dernière tentation est le repli sur le territoire local, l’hyperlocalisme, contre les autorités lointaines qui nous imposent des normes sans connaître les réalités du terrain (cf la double page d’ouest-france dimanche 19 octobre). Et la tendance se ressent jusque dans les relations entre ville-centre et petites communes des communautés.
Et pourtant, ils y vont
Heureusement, ils sont encore nombreux à accepter la mission, à la rechercher même, et c’est tant mieux : dans ces temps d’instabilité, les maires et les élus locaux sont de solides défenseurs de l’ordre institutionnel.