Irresponsables?

L’annonce de la mise à jour des bases de taxe foncière a provoqué une tempête médiatico-politique. Alertés sans doute par la puissante UNPI (Union Nationale de la Propriété Immobilière), les journaux et les autres médias ont presque unanimement considéré que c’était un mauvais coup du gouvernement contre les (pauvres) propriétaires. Sur une chaîne d’info à peu près crédible, deux économistes patentés ont expliqué que… les bases, les taux, le financement des collecivités locales, sans rien expliquer du tout. Bon, la presse est pressée, les journalistes pas toujours bien informés, mais les politiques n’ont pas non plus été à la hauteur, certains se sont même montrés irresponsables. Comme l’auteur du tweet ci-dessous.

Quelques exemples de n’importe quoi
Voilà que l’UNPI s’inquiète, mais pour l’administration : la situation risque d’engendrer de nombreux contentieux ! Le site Particulier à Particulier fait semblant de ne pas savoir ou de ne pas comprendre : des éléments devenus standards (l’eau, le gaz, l’électricité, la douche) seraient considérés comme des signes de luxe. Et même la GGT finances craint une taxe pénalisant les petits revenus, comme si les syndicalistes ne connaissaient pas la réalité de l’opération. Évidemment sur Cnews,« c’est un nouveau scandale de hausses, un SCANDALE qui va frapper nos portefeuilles, dégrader un peu plus le pouvoir d’achat des propriétaires immobiliers le gouvernement décide arbitrairement d’augmenter les taxes foncières. Ça touchera plusieurs MILLIONS de propriétaires »
Dans une émission plus sérieuse, la tonalité est presque la même : la séquence s’ouvre sur l’interview d’une pauvre propriétaire dont la taxe foncière aurait doublé depuis 3 ans. La dame, qui possède aussi 2 biens locatifs, vit dans un appartement cossu, avec vue au Nord-Est sur le Sacré Coeur et au Sud-Est sur la tour Eiffel et un peu plus loin la tour Montparnasse (du côté de Neuilly, Auteuil, Passy?). Mais quand elle a tout payé, il ne lui reste que 4 euros par jour pour manger. En voyant cette situation désolante, j’ai sorti mon mouchoir.

Les politiciens ne font pas mieux
Rien de surprenant dans la réaction du RN qui dénonce une atteinte au pouvoir d’achat des propriétaires. Plus étonnant, le jésuitisme de M. Attal : Ah si j’avais été au gouvernement (son grand regret) je n’aurais pas laissé l’administration lancer cette opération (y a personne aux commandes!). À l’Assemblée, le président du groupe LR, d’un ton compassé, parle d’un NOUVEAU mode de calcul, ce qui est faux, car ce barème existe depuis les années 70 et il est repris dans l’article 324 T du Code Général des Impôts. J’avais partagé cette information dans un article, Impôts, pipeau, démago.

article 324 T du Code Général des Impôts

Mais il faut donner le pompon à ce message sur X (twitter) d’un des plus grands leaders politiques du moment : Désormais, sous peine d’augmentation de taxe foncière, la macronie vous demande de détruire votre baignoire, vos toilettes, votre lavabo. Pas d’électricité non plus. Vivre dans les bois reste interdit.
Ce serait drôle dans le Canard enchaîné ; venant d’une personnalité de ce niveau, c’est désolant. Car ce monsieur n’ignore rien de la réalité de cet impôt, de son histoire, de ses inconvénients bien connus, des difficultés inextricables qui ont empêché sa réforme.

Le consentement à l’impôt
En effet, le consentement à l’impôt est une des clés du fonctionnement démocratique, l’affaiblir par ce genre de sottise est une faute politique. Mais, quand on érige en principe de tout conflictualiser, tout est bon, même la démagogie la plus médiocre ! Dommage pour nous tous, car l’occasion était bonne pour expliquer le principe fondateur de cet impôt, pour montrer que, sans cette révision – lancée au mauvais moment peut-être – des contribuables se trouvent payer moins que d’autres qui ont des biens comparables, pour proposer des réformes qu’un large débat public permettrait de préparer.

L’honneur de quelques titres de presse
Nous avons pourtant un peu de chance en Bretagne : les deux principaux quotidiens régionaux ont apporté des explications sérieuses à leurs lecteurs. Par exemple, que la mise à jour envisagée consistait simplement à appliquer à tous les logements les critères de confort ordinaires : bien sûr que partout désormais, il y a l’eau, l’électricité, le gaz à tous les étages, et aussi, du chauffage, des toilettes, des douches, etc. Mais, simple oubli ou volonté délibérée d’échapper à l’impôt, certains propriétaires n’avaient pas déclaré ces améliorations… et ne payaient donc pas ce qu’ils auraient dû.
Ouest-France a consacré plusieurs articles au sujet
Taxe foncière 2026 : avoir l’eau et l’électricité va-t-il vraiment faire grimper la note ?
Taxe foncière, 7 questions sur la hausse prévue en 2026
Quant au Télégramme, il a aussi publié des articles éclairants, dont celui-ci Taxe foncière, vers une augmentation pour 7,4 millions de logements Il y reprenait une information cruciale : il y a une grande disparité dans les déclarations. Et surtout le quotidien a pris nettement position dans un éditorial Taxe Foncière, mettre fin à la farce fiscale. En voici quelques extraits.

En 2025, plus de sept millions de logements en France sont encore déclarés comme ne possédant pas de douche ou de WC, de chauffage, d’électricité voire d’eau courante. En Haute-Corse, cela concernerait 62 % des biens immobiliers ! 42 % dans l’Aude ! Et, en Bretagne, ça serait de 10 à 20 % des biens dans le Finistère et les Côtes d’Armor. Qui peut y croire ? Personne.
Cela signifie que, depuis des années, des millions de contribuables ont payé moins que leurs voisins pour un bien équivalent… Une farce fiscale qui ôte le principe d’équité à la taxe foncière : pourquoi les propriétaires qui auraient le « malheur » d’avoir des bases d’imposition à jour paieraient pour les autres ? Et pour mesurer l’ampleur du souci, on peut aussi compter en euros sonnants et trébuchants : cette hausse - ou plutôt ce qu’il conviendrait d’appeler ce rattrapage - devrait générer plus de 450 millions d’euros de recettes supplémentaires pour les collectivités locales l’an prochain. Loin d’être négligeable.(Le Télégramme, 19 novembre 2025)

Pour rire (ou pleurer)
Dans le florilège des sottises malveillantes déversées sur le sujet, je vous invite à lire cette tribune du Figaro, sous la plume d’Ophélie Roque (professeure de Français, métier très honorable, mais qui ne qualifie pas spécialement pour traiter de fiscalité locale) «Une taxe sur les baignoires, les lavabos et l’eau courante… le ridicule de l’impôt ne tue visiblement pas» C’est écrit d’une plume élégante, mais…

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