Stéphane Batigne, éditeur, m’a convaincu de publier un livre qui recueille un peu plus de mille mots et expressions du parler gallo de Questembert. Le titre Le Parler gallo du Pays de Questembert est ambitieux pour un glossaire, un lexique où les lacunes, les manques, sont bien plus étendus que les bribes qui me restent de ma langue maternelle.
L’ouvrage, que j’ai eu du plaisir à écrire, et qui en donnera aussi, j’espère, aux lecteurs, paraît dans un moment de fortes tensions autour des langues régionales et de leur enseignement. La question était loin de mon propos ; cependant elle s’impose à moi aujourd’hui : la loi que mon ami Paul Molac (il a signé la préface de mon livre) a réussi à faire adopter était une réelle avancée pour la reconnaissance de la richesse linguistique de notre pays. Et voilà que des juges ont jugé qu’elle mettait en danger l’unité de la République.
Comme chantait Brassens dans Le grand Pan :
La bande au professeur Nimbus est arrivée
Qui s’est mise à frapper les cieux d’alignement,
Chasser les dieux du firmament
Au moment où nous sommes engagés dans un grand mouvement de défense de la biodiversité et nous devrions assécher notre diversité culturelle et linguistique ! Absurde. C’était au débat lundi 31 mai sur Arte, avec ensuite, un portrait sympathique de Paul Molac par Thibault Nolte. A regarder ci-dessous:
Un gallo unifié ?
N’empêche que si l’on veut enseigner une langue, il faut qu’elle soit stabilisée, normée. Manifestement, on parle – on parlait – un gallo à Questembert, on en parlait un autre au pays haut, au pais haot [pe ɔw], dès Pluherlin, Malansac et Pleucadeuc, et un autre un peu plus loin. Des gallos divers, sans doute, si divers que vouloir les unifier, les uniformiser relève de l’utopie. Devrons-nous, dans cette langue normalisée, dire moi, ou mê [mɛ], ou maille [maj] ? Dire beau, boou, baou, ou biaou ? Quelle autorité pourra décréter cette unification ? D’où tiendra-t-elle sa légitimité ? Ne serait-ce pas faire au gallo ce que le français académique a imposé ou tenté d’imposer aux multiples variantes des parlers gallo-romans, du picard au poitevin, de l’occitan au franc-comtois ? Nous avons aussi nos académiciens et je ne vais pas m’immiscer dans leurs querelles.
Car il n’y a pas dans mon modeste ouvrage de quoi répondre aux exigences d’un enseignement : je n’ai pu rassembler que des bribes, je dirais même des lambeaux, du parler gallo de Questembert. Et je ne veux pas à partir de ces fragments faire pour la langue ce que Viollet-Leduc a osé pour les cathédrales gothiques.
Du grain dans l’ gueurnieu, du cit’ dans le ceullieu ?
Il ne faut pas, selon moi, que ce gallo unifié devienne une construction artificielle, composite. Nous avons tous entendu dans les réunions d’anciens ces chansons ou ces contes où le pommier devient le pommieu, le grenier, le gueurnieu. Le gallo, les parlers gallos, c’est bien autre chose : des mots spécifiques, avec chez nous des emprunts au breton vannetais, une grammaire particulière, là encore métissée de structures bretonnes, mais surtout des sons caractéristiques (des phonèmes), une ligne mélodique, une prosodie spéciales. Si tout cela n’est pas rassemblé, restitué, le résultat obtenu n’est qu’un gallo de cuisine, un peu ridicule, comme pouvait l’être l’anglais prononcé par Maurice Chevalier.
En immersion ?
Cette restitution achevée est la condition de la réussite de l’enseignement immersif, si on le tentait pour le gallo de Questembert. En effet, la méthode immersive est sans aucun doute la plus efficace pour l’apprentissage d’une langue. J’en ai fait l’expérience personnelle au début des années soixante-dix au centre de linguistique appliquée de Besançon. C’était un stage intensif de russe ; prévu pour 6 semaines, il a été réduit à 4 en raison du congé maternité de la formatrice franco-russe ; mais de 8 h du matin à 18h le soir, déjeuner inclus, 5 jours semaine ; sans support écrit, mais avec diapositives et enregistrements sonores. D’un redoutable efficacité, nous en étions à rêver en russe ! Pour ma part, je n’ai pas eu l’occasion de pratiquer ce que j’avais appris de la langue, mais la méthode m’a servi pour enseigner le français à des anglophones débutants. La condition de la réussite, c’est, je le répète, la parfaite maîtrise par le formateur de toutes les composantes de la langue : lexique, syntaxe, morphologie, phonétique, prosodie. Et pour revenir à notre gallo questembertois, quelle immersion peut-on imaginer quand la source s’est quasiment asséchée ?
Des pistes pour enrichir
Ce glossaire est incomplet, lacunaire, je le reconnais ; je sais déjà comment je peux l’enrichir. J’ai découvert récemment sur la toile un livre ancien Le Breton usuel (dialecte de Vannes) de Loeiz Herrieu.
J’avais déjà repéré des transferts du breton au gallo et vice-versa, mais à feuilleter le livre de Loeiz Herrieu, j’en ai trouvé beaucoup plus : je vais tâcher d’explorer cette piste pour enrichir une prochaine réédition. Je crois que je devrai aussi préciser le sens de certains mots : qu’est-ce qu’une culasse de grain ? Cela représente 80 Kg, 135 Kg ou 150 Kg de blé ? Cela donne 100 Kg de farine livrés chez le boulanger par le meunier ? Il y aura des mots à supprimer : par exemple, le mot cotia pour la digitale est sans doute un mot du pays haut, le mot du gallo de Questembert étant beurlu [bøʁly] (cf breton vannetais brulu). Et j’invite mes lecteurs à enrichir, à compléter, à corriger aussi, ce que j’ai recueilli.
Où acheter le livre ?
A Questembert, on le trouve à la Papeterie Questembertoise, à la Maison de la presse, à Carrefour, Intermarché pour la (modique) somme de 14€.
Et aussi
- Rochefort-en-Terre : Librairie Sainte-Hortense, Tabac-presse Danilo (Féerie d’Armoric)
- Malansac : Tabac-presse Quémard
- Redon : Librairie Libellune
- La Gacilly : Librairie La Grande évasion
- Saint-Jean-Brévelay : Librairie Les Hirondelles (nouvelle librairie, mais ils n’ouvrent qu’à la fin juin)
Ailleurs, on peut le commander chez son libraire ou directement chez l’éditeur.
Je serai à la Maison de la Presse samedi 5 juin (10h-12h30) pour une séance de dédicace.