Voir (ou revoir) Le Nom de la Rose


Bouquet final de Froid Polar à l’Iris Cinéma dimanche 16 à 17h avec la projection du film de Jean-Jacques Annaud Le Nom de la rose, adapté du roman d’Umberto Eco. Quelques pistes pour s’orienter dans le labyrinthe du film (ou du livre) : un vrai polar, mais aussi un film/roman historique et philosophique, qui a du sens dans notre actualité.

Pratique 
Une seule séance : dimanche 16 à 17h. Quelques mots d'introduction, le plaisir du film... et puis, dégustation d'oublies, de mistembecs et autres pipefarces, en buvant de l'hypocras ou de la malvoisie.
Tarifs habituels.

Élémentaire, mon cher (w)Adso(n)
Le clin d’œil aux aventures de Sherlok Holmes est appuyé : il faut éclairer un mystère qui s’épaissit au fil de l’histoire racontée par le novice Adso, aussi naïf que le Dr Watson racontant l’aventure fantastique du chien des Baskervilles. Et voilà que le détective porte le nom de Guillaume… de Baskerville.

Un film/roman historique
Le roman d’Umberto Eco situe le cœur des événements à la fin novembre 1327, dans un contexte historique (et géographique) précis. Le pape Jean XXII est installé en Avignon, son pouvoir est spirituel (religieux) mais aussi temporel (politique) et il s’oppose au chef du Saint Empire Romain Germanique, Louis de Bavière. Le livre détaille les multiples réseaux d’alliances entre seigneuries locales, privilèges des villes où apparaissent des bourgeoisies marchandes et les ordres religieux, eux-mêmes traversés par des querelles théologiques et politiques.
Confronté à cet écheveau quasi inextricable, le cinéaste a centré le conflit sur la rivalité féroce entre les moines bénédictins, les franciscains et les dominicains. L’ordre des bénédictins, le plus ancien, est installé dans des abbayes puissantes qui sont au centre de vastes domaines agraires, comme celle où se déroule l’action. Les moines eux-mêmes, vêtus de leur robe noire, se consacrent à la prière, à l’étude des textes anciens, à leur reproduction sur des manuscrits souvent décorés d’enluminures. C’est au début du XIIIème siècle qu’apparaissent les ordres mendiants, dominicains et franciscains,qui professent la pauvreté et s’en remettent à la charité publique. Les disciples de François d’Assise, vêtus de gris comme Guillaume de Baskerville et son novice Adso, sont les plus proches du peuple des villes et aussi plus ouverts aux réflexions de leurs temps. Les dominicains sont plus voués à l’étude, à la prédication, à la Vérité (révélée!) et à la conversion des hérétiques, des mal-pensants, au besoin en les traînant devant l’inquisition : dans le film, c’est Bernard Gui, (robe blanche et chape noire), l’inquisiteur redoutable qui va porter l’accusation contre le cellérier Remigio et le bossu Salvatore, coupables à la fois d’hérésie (ils sont dolciniens) et de sorcellerie. Il menace les accusés de la question, de la torture. Devant les délégués du pape, dans un tribunal présidé par le cardinal Bertrand du Pouget (Lucien Bodard, carnavalesque), il obtient la condamnation des deux moines et de la femme, qui, par nature, est forcément sorcière.

Le bûcher (films Ariane)


Le cinéaste ne retient que les dolciniens dans la constellation des multiples dérives de la mouvance franciscaine (minorites, spirituels, fraticelles, flagellants, apostollici ou pseudo-apôtres, etc.) ; et en effet, les dolciniens vont jusqu’au bout de la contestation : il ne s’agit pas seulement de religion, mais de révolte sociale, de révolte populaire contre les seigneurs, comme les dignitaires de l’église. Historiquement, ils ont ravagé églises et châteaux dans la région de Novare, avant d’être massacrés ; leur chef de file, Fra Dolcino et sa compagne Margherita Boninsegna sont condamnés au bûcher par Bernard Gui.
Jean-Jacques Annaud a traité le contexte historique avec beaucoup de soin, en attachant les conseils de spécialistes du Moyen-Age, comme Jacques Le Goff ou Michel Pastoureau. S’il ne l’avait pas fait, il aurait trahi aussi bien l’esprit et la lettre de l’œuvre d’Umberto Eco qui avait lui-même une connaissance très fine de cette période.

De la philosophie
Le livre d’Umberto Eco, et son adaptation par Jean-Jacques Annaud, nous plongent au cœur de questions philosophiques : qu’est-ce que la vérité ?
S’agit-il d’une vérité révélée, immuable, éternelle, donnée, selon la tradition de l’Église ? Alors, il ne reste qu’à recopier la lettre déjà écrite, comme le font les moines dans le scriptorium. Dès lors, le bibliothécaire peut fort bien être aveugle, comme le personnage de Jorge. Dans ce cas, inutile de chercher d’autres livres, à traduire du grec ou de l’arabe (mais cela se fait quand même!). Et même, il y a des livres interdits, tellement impensables qu’ils n’ont même pas été écrits, comme cette deuxième partie de la Poétique d’Aristote, sur la comédie, sur le rire interdit. Tout juste peut-on commenter, gloser, illustrer par des enluminures. Hors de cette vérité, vous tombez dans l’hérésie, vous voilà hors de l’Église, et, comme le dit l’adage, hors de l’Église, point de salut.
Ou bien, vous croyez que la vérité est une construction méthodique, fondée sur l’observation et l’analyse des faits : c’est la démarche du personnage central, Guillaume de Baskerville, et, dans le livre, Umberto Eco se réfère aux lointains fondateurs de la démarche scientifique : Ockham (et son rasoir), Roger Bacon qui insiste sur l’expérience et le raisonnement. Alors, vous pouvez oser lire d’autres livres, dans d’autres langues que le latin, en grec (ancien), en arabe, ou même dans les langues vulgaires, les langues vivantes du temps.
Face aux tenants d’un monde figé, la modernité s’impose et vient fracasser les frontières entre pouvoir religieux et pouvoir politique, entre dogme et doute, culture et ignorance, savoir et mensonge.
Mais la perte du vieux monde ne va pas sans nostalgie, parce que, quand même, c’était mieux avant, comme nous l’indique ironiquement la phrase finale : Stat rosa pristina nomine, nomina nuda tenemus. De la rose d’hier ne nous reste que son nom, nous ne retenons que les mots dans leur simple nudité. Le mot rose n’a pas de parfum, de même que le mot chien ne mord pas.

Une œuvre pour aujourd’hui
Si le film, le livre, nous touchent aujourd’hui, c’est qu’ils parlent à notre temps. En écrivant son livre, Umberto Eco s’interroge sur le terrorisme intellectuel : comment ne pas faire le lien entre les Brigades rouges des années 70 en Italie et la violence des hérétiques comme des inquisiteurs ? Et nous pouvons maintenant penser aux manipulateurs des fake news, à ceux qui nous serinent qu’on marche sur la tête, et, pire encore, aux fous de dieu, aux intégristes de la vraie religion, quelle que soit cette religion. Juges et bourreaux des mécréants qui osent produire des caricatures blasphématoires, qui osent rire des choses les plus sacrées, qui revendiquent, comme Richard Malka, l’avocat de Charlie Hebdo, le Droit d’emmerder Dieu.

Lire (ou relire) le livre d’Umberto Eco
J’espère vous avoir donné envie de voir ou de revoir le film de Jean-Jacques Annaud. Mais n’hésitez pas à vous plonger dans le roman : c’est plus ardu, parce que c’est plus touffu, bourré de références, parsemé de citations latines (non traduites!). C’’est un autre plaisir.
Un universitaire a proposé un site qui donne une traduction systématique des références antiques et médiévales du roman. À voir ici Le Nom de la rose.


Le Nom de la rose en BD


Et depuis 2023, on trouve une version en bande dessinée par Milo Manara. Très élégante. On attend le Tome 2.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *