Délégués aux intercommunalités : des changements nécessaires, mais improbables

Gouvernance de notre communauté, élections pour la présidence, puis élections des vice-présidents, constitution du bureau. J’ai tâché d’apporter ma contribution sur ces sujets. Mais il faudrait sans doute aller plus loin et approfondir les questions sur la relation entre communauté et communes, la désignation des délégués intercommunaux, l’élaboration d’un projet politique cohérent. S’interroger aussi sur les freins à l’évolution, dans nos mentalités, et dans l’action des puissants lobbies que sont l’association des maires et le sénat…

La parité dans l’exécutif ?

Dans beaucoup de communautés, la constitution des exécutifs intercommunaux a été conduite aux forceps, comme à Marseille, à Grenoble et ailleurs. Avec des tractations liées aux positions politiques, aux tensions entre la ville centre et les autres communes, ou tout bêtement aux inimitiés interpersonnelles. Dans une communauté proche de la nôtre, le maire d’une ville importante n’a obtenu qu’une vice-présidence de consolation avec un score en rase-mottes ! Chez nous, nous avons vu un vice-président élu complètement inactif sur un sujet qui aurait dû être central pour lui !

Dans ces conditions, inutile d’espérer que la parité puisse être atteinte dans les bureaux communautaires.

La désignation des conseillers communautaires

Aujourd’hui, les listes présentées aux élections municipales doivent indiquer qui seront les conseillers communautaires : 11 noms alternant hommes et femmes sur les listes questembertoises. Chaque liste a ensuite un nombre de délégués en fonction de son résultat électoral : la majorité questembertoise a 9 délégués, la liste Danilo en a 1 et la liste Poeydemenge aussi.
Les 11 délégués de Questembert : Boris LEMAIRE, Jeannine MAGREX, Jacky CHAUVIN, Rachel GUIHARD, Maxime PICARD, Sylvaine TEXIER, Alain LOUIS, Brigitte DELAUNAY, Jean-Pierre LE METAYER,
Marie-Christine DANILO,
Frédéric POEYDEMENGE.

Le système n’est pas satisfaisant, mais c’est une nette amélioration par rapport à ce qui existait pour les premières communautés de communes où les délégués étaient désignés par les conseils municipaux : les électeurs ne savaient pas qui les représenteraient à la communauté.

A qui les conseillers communautaires doivent-ils rendre compte ?

Les conseillers communautaires ont donc une double (il)-légitimité : ils sont les représentants directs des électeurs, puisqu’ils sont fléchés parmi les candidats, mais ils ne portent pas un projet communautaire, ils sont d’abord élus dans la liste communale. D’où la difficulté pour eux de prendre un point de vue qui ne soit pas seulement celui de leur clocher!

Ils doivent donc rendre compte de leur mandat au conseil municipal auquel ils appartiennent… mais aussi à tous les électeurs de la commune. Il faut donc qu’après chaque réunion du conseil communautaire, les délégués transmettent aux conseillers municipaux les points essentiels traités si possible en les mettant dans la perspective du projet de territoire. Mais les habitants de la commune dans leur ensemble doivent aussi être informés des enjeux communautaires, par le bulletin municipal ou le site internet ou tout autre moyen.

Pour l’élection des conseillers communautaires au suffrage direct

La situation des communautés ressemble à s’y méprendre à celle du Parlement européen. Avec les mêmes conséquences : les députés au Parlement de Strasbourg sont élus sur des listes nationales et ils ont bien de la peine à adopter le point de vue européen, sans parler de ceux qui en refusent le principe même. Nos délégués ont trop souvent une vision défensive de la communauté : qu’allons-nous pouvoir tirer à l’avantage de notre commune ?

Pour l’Europe et pour les communautés, il faudrait sauter le pas de l’élection des conseillers ou des députés sur des listes européennes ou des listes communautaires. Le projet commun prendrait alors tout son sens !
On en est loin ! L’Europe est tiraillée par des tensions nationalistes qui, pour le Royaume Uni, ont conduit au Brexit. Dans nos communautés, il est souvent difficile de voir au-delà de l’ombre du clocher !

Le sens de l’histoire ?

Je n’ose affirmer que ce serait aller dans le sens de l’histoire (l’histoire a-t-elle un sens, d’ailleurs, ou n’est-elle qu’une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien?) Mais je sais que notre modèle communal est de moins en moins adapté aux modes de vie de notre temps. Le sociologue Jean Viard a montré clairement qu’aujourd’hui, on vit dans un espace distendu : un lieu de travail, un lieu de loisirs, un lieu de consommation… et un lieu d’habitation, une commune, où l’on vote ! Selon lui, cela construit une démocratie du sommeil !

Cet étalement de la ville, ce culte résidentiel du village, ou des vieux quartiers, induisent une société avec des habitants dont nous savons où ils dorment, car c’est là qu’on les recense. Nous savons beaucoup moins où ils travaillent et où ils consomment, se rencontrent et se divertissent. Près de 70 % des gens ne travaillent pas dans la commune où ils dorment. Et comme chacun vote là où il dort plus que là où il travaille, le vote est souvent conservateur, pour préserver le silence, le calme, de bonnes écoles et un homogénéité sociale « confortable ». Quant aux grands projets, aux infrastructures et au développement…, ce sont d’excellentes idées, mais ailleurs. (p.66) Lettre aux paysans et aux autres sur un monde durable.



Il faudrait donc que le territoire politique recouvre un peu mieux l’espace où s’inscrit l’existence des citoyens pour que les décisions politiques soient pertinentes pour les différents aspects de la vie des gens.

Des résistances au changement

Selon Jean Viard, notre modèle communal (35 000 communes!) remonte à Jules Ferry, à ce qu’il appelle la République agricole dans le livre écrit avec Bertrand Hervieu L’Archipel paysan, la fin de la République agricole.

Oui, en dépit des regroupements récents dans les communes nouvelles, nous avons encore plus de 35 000 communes. Dont le quart, près de 9 000, ont moins de 200 habitants et 10 % moins de 100 habitants ! Plus de la moitié (53%) ont moins de 500 habitants.

Un tableau de l’INSEE, très éclairant
Source les chiffres clés des collectivités locales

Il serait temps d’en changer… mais nous avons bien de la peine à imaginer ce nouveau paysage à construire. D’autant que de puissants lobbies s’acharnent à défendre le modèle ancien : si l’on regroupait les communes de moins de 500 habitants dans des collectivités plus larges, le président de l’Association des Maires de France perdrait d’un coup la moitié de ses supporters. Quant aux Sénateurs, leur électorat est d’abord celui des petites communes : dans la Manche, par exemple, les 236 communes de moins de 500 habitants apportent 236 électeurs, si l’on ajoute les 435 délégués des 145 communes de moins de 1500, cela fait la moitié du corps électoral.

Ajoutez à cela le romantisme de la ruralité comme on le décrit l’économiste Pierre Velts dans cet article Tous villageois. Sans parler de la nomination d’un secrétaire d’état à la ruralité ! Et vous comprenez que nous ne sommes pas encore prêts pour une transformation nécessaire pourtant de notre paysage communal.