Dans son livre, En finir avec la honte de nos racines paysannes, Marie-Paule Gicquel retrace le parcours de la génération qui a vécu la transformation radicale de nos campagnes.
Mais elle le fait à travers son expérience personnelle : née dans une famille de paysans du centre Bretagne, elle est devenue professeure agrégée de lettres dans un lycée. Une histoire individuelle, mais comparable à celle qu’ont vécue bien d’autres jeunes de son âge qui ont quitté le monde rural pour faire leur vie en ville.
Une enfance des années 50 dans un coin de la Bretagne profonde : un univers immobile, figé dans une tradition séculaire. On est bien entre soi, mais déjà, on rêve d’ailleurs plus libre, quand on est de la campagne, en butte au mépris de ceux du bourg qui vivent dans de plus belles maisons, s’habillent mieux, parlent mieux, avec moins de patois. Pourtant, voilà les premiers signes du bouleversement qui s’annonce : l’attrait de la ville, l’envie de vivre sa vie autrement, de s’en sortir.
Pour les uns, la solution sera dans l’exode vers la ville, l’industrie, l’administration, les PTT, la SNCF; pour d’autres, qui resteront là, des métiers nouveaux ou une agriculture tournée vers la production de masse. Pour la jeune Marie-Paule, ce sera la sortie par l’école. Pourtant là encore, les stigmates restent profonds : à côté des filles de la ville (le vêtement, la langue…) ou des bretonnantes dont le français est plus policé, sa langue est encore trop paysanne. Bécassine n’est pas de basse Bretagne, elle est gallése, ses sabots sont marqués de la boue, de la bouse. Bachelière, la voilà à la fac, égarée parmi les Héritiers, ceux qui savent sans avoir jamais appris. Elle réussit pourtant l’agrégation de Lettres Modernes et là voilà professeure dans un lycée privé, face à des classes où les différences se sont peu à peu atténuées.
La honte effacée ?
Son parcours ressemble à bien d’autres, qui ont pu échapper au déterminisme de classe, en s’appropriant les codes des dominants, qui ont montré que les gens de peu ne sont jamais des gens de rien.
On perçoit ici et là une nostalgie du temps passé, du bon temps qui a laissé dans nos têtes des chansons à répondre, des airs de danses qu’on menait au son de la goule, on sent bien aussi que la brûlure de la honte ressentie ici ou là n’est pas loin. Et ce souvenir nous garde de la tentation du retour au passé : oui, on s’en est sorti.