Nouveaux regards sur la fonction de maire

Devant l’assemblée générale de l’ARIC, à Plaintel, Rémi Lefebvre, politiste (Sc. Po. Lille), spécialiste des démocraties locales, s’interrogeait sur le statut social du maire, sur les conditions d’exercice du mandat, sur le rapport aux citoyens.

Nombreuses démissions de maires et d’élus municipaux, agressions verbales ou physiques, découragement de beaucoup : la fonction de maire, difficile, n’attire plus et certains craignent qu’il n’y ait plus de candidats. Rémi Lefebvre a tenu à élargir la focale sur le sombre tableau exposé par les médias. Avant de traiter trois points essentiels : la complexité croissante de la fonction, le nouveau rapport au mandat et le nouveau rapport des citoyens aux élus.

Alors tout va mal dans la démocratie locale ?
Déjà au milieu du mandat précédent, on annonçait que 50 % des maires refusaient de se représenter, qu’il serait bien difficile de trouver des conseillers. La réalité a été différent du pronostics : le renouvellement de 2020 a ressemblé à ceux d’avant (ne pas négliger les effets de génération), il y a eu environ 900 000 citoyens candidats, un nombre à peine inférieur à celui de 2014, ce qui montre un intérêt constant pour les affaires locales. On parle de démissions massives en cours de ce mandat : 40 par mois, contre 10 par mois entre 2008 et 2014. Mais ne pas oublier que ce constat – à nuancer – est brandi par l’AMF, le puissant lobby des maires. L’AMF a tout intérêt à relayer les récriminations des maires, fondées ou non puisque c’est en quelque sorte son fonds de commerce. Il faut noter aussi que le président de cette puissante association, M. D. Lisnard, maire LR de Cannes envisage une candidature à la présidentielle… et le poids des maires est important pour les signatures et encore plus comme réseau d’influence.
Parmi les raisons qui expliquent les démissions effectives ou annoncées, il y a, en plus de la difficulté (croissante?) du mandat, les agressions qui se sont multipliées contre les élus et les maires en particulier. Les cas de St-Brévin, de Callac, mais aussi de Plougrescant sont dans toutes les mémoires. Les conséquences des récentes tempêtes ont provoqué des tensions : des élus ont été agressés verbalement (ils auraient dû arrêter la tempête, empêcher l’inondation, rétablir le courant…) et menacés. Les moins courageux déversent leur bile ou leur haine sur les réseaux sociaux, masqués bien au chaud derrière leurs pseudonymes. Et c’est vrai que ces nouveaux médias contribuent largement à faire monter les tensions.

Le maire, dernier élu de proximité
Comme il n’y a plus de député-maire, de sénateur-maire (je ne le regrette pas), les députés et les sénateurs ont moins de contacts directs avec la base, et les dernières élections ont amené au parlement beaucoup de nouveaux élus sans expérience territoriale. Les conseillers régionaux élus sur des listes sont pour la plupart inconnus des électeurs, et certains ne font pas le moindre effort pour se faire connaître, au point qu’on peut douter de leur implication. Ensuite, la réforme des cantons a éloigné les conseillers départementaux des électeurs et c’est encore plus vrai dans les villes. Le maire reste le dernier élu de proximité, mais sa notoriété n’est plus ce qu’elle était. Le statut social du maire a changé : son autorité notabiliaire est moins reconnue.

Une fonction devenue plus complexe
C’est une rançon de la décentralisation ! Oh le beau temps où le maire n’était qu’un pion dans l’organisation de l’État : aucune décision ou presque sans l’aval du préfet, ou de ses agents. Le budget, c’était le percepteur, les travaux, l’ingénieur de la subdivision des Ponts et Chaussées ou l’ingénieur du Génie Rural. Sénateur, député, et surtout conseiller général se faisaient les relais de l’autorité supérieure de l’État. Le citoyen ne s’y trompait pas car si le maire refusait ceci ou cela, on lui répliquait : « j’irai voir plus haut ! ». Les lois de décentralisation ont donné au maire le pouvoir de décision, l’autorité, et, partant, la responsabilité. Il doit désormais maîtriser les finances publiques, l’urbanisme, les politiques culturelles, sportives, etc. La loi lui a conféré la compétence au sens juridique : le droit de faire. À lui d’acquérir la compétence technique, le savoir faire ou de s’adjoindre les équipes qui les lui apporteront. Ce changement radical a fait que les maires sont de plus en plus qualifiés, souvent diplômés de l’enseignement supérieur. Une technicité qui fait que souvent on retrouve dans les élus issus de la fonction publique territoriale ou de la fonction publique d’état. Plus complexe, plus technique, la fonction exige aussi plus de temps. D’où un nombre toujours plus grand de retraités (40 % des maires), et aussi, ce qui n’est pas sans poser quelques problèmes, des professionnels de la politique : collaborateurs d’élus, élus cumulards sur des fonctions moins chronophages (conseiller régional minoritaire, par exemple).

Un nouveau rapport au mandat
La fonction désormais est de moins en moins conciliable avec une autre activité. On a vu chez nous un candidat qui prétendait concilier son activité professionnelle et la fonction à laquelle il prétendait. Il se berçait d’illusion. En réalité, peu d’élus viennent du privé, car les indemnités ne peuvent pas compenser la perte de revenus de cadres moyens ou supérieurs. Renoncer à un poste de cadre – car, même s’il obtient une suspension de son contrat de travail, il y a peu de chance de reprendre sa carrière – est un choix difficile. Comme il est difficile de concilier l’engagement municipal et la vie privée. La difficulté est encore plus grande pour les femmes. Une maire dans l’assemblée explique qu’à la fin de son mandat, elle sera sans emploi ! Sans parler de celles et ceux qui ont vu leur couple exploser. Tous ces éléments modifient profondément le rapport au mandat, comme, de façon plus globale, la société a vu se transformer le rapport au travail. L’engagement dans la vie politique comme dans le travail se limite dans le temps : on mène un projet, on y va à fond et, le but atteint ou pas, on se donne un autre objectif. Et de toute façon les jeunes acceptent moins de sacrifices, ils sont moins attachés au travail et plus soucieux de la qualité de leur vie.

Un nouveau rapport des citoyens aux élus
Même si le maire reste le plus légitime parmi les élus qui le sont de moins en moins, à peine un Français sur deux est capable de donner le nom de son maire ! Quant aux plus jeunes, s’ils sont capables de s’engager pour de grandes causes nationales, des valeurs qu’ils considèrent comme essentielles, ils s’intéressent peu à la vie politique locale (on lit Courrier international, mais pas le quotidien régional). Et c’est pareil pour les étudiants de Rémi Lefebvre en sciences politiques ! D’autant que le contexte local est devenu de plus en plus complexe : l’intercommunalité, les citoyens n’y comprennent rien et les élus, les candidats ne font rien pour faire comprendre, car personne ne parle de l’intercommunalité dans les élections municipales et a démocratisation de l’intercommunalité n’avance pas. Dans un paysage confus, le maire reste la seule figure reconnaissable et on lui demande des choses qui, parfois, ne le concernent pas (cf pannes télécoms). Seule autorité accessible, l’élu devient un prestataire comme un autre, dont le citoyen consommateur attend des services. Un renversement par rapport à l’époque pas si lointaine où le maire pratiquait le clientélisme : il rendait service à ses administrés, s’attribuant parfois des mérites qu’il n’avait pas, de l’emploi et/ou des médailles!) et les électeurs lui en étaient reconnaissants ! Pour approfondir sur la question du clientélisme, voir cet article Du clientélisme politique.

Des pistes pour changer ?
Rémi Lefebvre suggère qu’on révise le système des indemnités : trop élevées pour des mandats peu exigeants, trop faibles pour d’autres, en particulier au niveau municipal. Un sujet explosif, qui méritait pourtant un vrai débat serein. Il propose aussi qu’on traite enfin sérieusement le statut de l’élu, sans doute en s’appuyant sur la réalité des pouvoirs exercés… Et sans doute aussi, mieux partager le pouvoir avec les citoyens, à partir du modèle des budgets participatifs.

Caricature de l’Agglorieuse

Formation des élus (et des citoyens)
Pour avancer dans tous ces domaines, il faut vraiment que les élus soient formés : c’est un droit qu’ils utilisent pas assez, une ligne obligatoire inscrite dans les budgets, rarement dépensée. Il faudrait aussi une formation pour les citoyens, comme celle qui est dispensée aux membres des conventions citoyennes. Ainsi la première phase de la convention citoyenne sur la fin de vie était consacrée à l’appropriation du sujet.

Quelques mots sur l’ARIC
« l’élection confère la légitimité démocratique, elle ne donne pas la compétence, qu’il faut acquérir !  » Voilà ce que me disait un ancien quand j’ai été élu pour la première fois. J’en avais déjà l’intuition, mes premiers pas l’ont confirmé : il faut apprendre, se former dans de multiples domaines. Suivre des sessions de formation, partager des expériences, échanger avec d’autres élus. L’ARIC, association d’élus au service des élus, propose des formations adaptées aux besoins des élus, mais aussi des accompagnements collectifs ou individuels. La Lettre de l’Aric s’adresse aux élus, mais je suis persuadé que tous les citoyens peuvent y trouver de l’intérêt. Il suffit d’installer l’appli sur son téléphone.

Les articles d’Ouest-France sur l’assemblée générale de l’Aric