L’eau désirée, l’eau rejetée (Histoire d’eaux 4)

Après trois articles sur la question de l’eau, en voici un autre, sur l’effet d’attraction/répulsion qu’elle peut provoquer.
Histoires d’eaux 1 parlait de l’eau, des puits ou des fontaines de village, des puits publics en ville, de l’eau des lavoirs,de l’eau des marais et des prés mouillés. L’eau à la maison, histoires d’eaux 2 ce deuxième article était consacré aux premières réponses pour amener l’eau à la maison : pompes à béliers, électropompes, réseaux de village. Le 3ème article, Le service d’eau (Histoires d’eaux 3) était centré sur la construction des réseaux d’eau potable et de tout à l’égout dans la ville. Avec les transformations radicales que ces innovations apportaient.
Et bientôt un cinquième sur les étangs, les plans d’eaux.

Étrange contradiction, une parmi d’autres : torrentielle ou stagnante, l’eau peut faire peur. Tout est fait pour s’en débarrasser au plus vite : avaloirs, canalisations, émissaires, drainages. Et dans le même temps ou presque, on réclame la pluie, comme au printemps passé, ou plus romantiquement, on rêve d’étangs, de lacs, de plans d’eaux.

Sécheresse et canicule, une ambiance d’angoisse
L’été 2022, nous avons subi à la fois et une canicule exceptionnelle (aux alentours de 40° à Questembert) et une sécheresse très sévère qui s’est prolongée jusqu’à ce dernier automne. Voir à ce sujet les publications régulières sur l’état des nappes souterraines en Bretagne.
Quant aux moments de canicule, vous avez peut-être vous aussi perçu le silence de la nature dans les après-midis de grande chaleur. On n’entendait rien que les bruits des engins agricoles ou de la circulation routière. Et je crois bien que cette ambiance faisait naître chez nous une sourde angoisse.

La peur de l’inondation
La situation dramatique que nous vivons ces temps-ci réveille la peur de l’inondation, qui peut-être remonte au déluge biblique et plus loin encore à l’épopée de Gilgamesh. Nous sommes pourtant plus habitués aux orages et aux tempêtes qu’aux risques de la sécheresse. Pluies diluviennes et prolongées, villes et villages dévastés par des rivières qui débordent, ou simplement violent orage qui, en quelques minutes, transforme les rues en torrents. Comment s’en débarrasser ? Comment chasser loin de nous l’eau qui nous envahit ? Car il n’y a pas d’autres solutions que de la faire s’écouler au plus vite… ailleurs, donc en aval. Où la crue sera encore plus violente.
Sans aller chercher bien loin, le quartier de Pénescluz à Muzillac se retrouve souvent les pieds dans l’eau,comme le montre cet article d’Ouest-France (23 décembre 2020) et le barrage de l’étang de de Penmur avait montré des signes de faiblesse qui avaient imposé des travaux en 2010.

La peur des eaux souillées, des eaux croupies
On craint la violence de l’inondation, mais aussi, souvenir des épidémies de choléra – la dernière que j’ai repérée en Bretagne remonte aux années 1880 – les anciens nous mettaient en garde contre les eaux stagnantes, où l’on risquait d’attraper la maladie. D’ailleurs les sangsues prospéraient dans les eaux dormantes qui étaient infestées de rainettes, inoffensives grenouilles accusées de donner du venin (du vlin). On y apercevait aussi, rarement, mais avec encore plus d’effroi, des tritons.

Ne plus marcher dans la boue qui colle aux sabots
Sans danger, mais tellement désagréable, la boue qui s’étendait dans les chemins, dans la rue, devant les maisons, les écuries (les étables). Quand c’était trop, pas d’autre solution que de sortir l’étrèpe pour parer le bouillon. En ville, les habitants ont obtenu assez vite des caniveaux et des rues goudronnées : objet régulier dans les délibérations du conseil avant la guerre de 39 et encore après.

Voyez ci-dessous un extrait du bilan de l’année 1949 dressé par le maire devant le conseil municipal de janvier 1950 : on a refait un caniveau rue Alain le Grand pour assainir l’atmosphère irrespirable.

La campagne a dû attendre plus longtemps : dans les années 80, il y avait encore des programmes de goudronnage de cours de ferme.
Du bitume, des caniveaux : des espaces propres où la pluie ruisselle et s’en va au plus vite. Vers les points bas, dans les caves que les pompiers venaient vider avec leur motopompe, ou plus loin dans les vallons. L’étape suivante a été, en ville, la construction du tout-à l’égout.

Tout-à l’égout ? Un progrès ? sans doute
Comme le mot l’indique, tout va à l’égout : les eaux pluviales comme les eaux usées, avec des arrivées massives vers la station d’épuration. Et les épisodes de très fortes pluies ont souvent provoqué des débordements au Pont-Plat. Au point qu’en 1995, maire nouvellement élu, j’ai été mis en examen pour pollution de la rivière du Tohon. Je me suis engagé à lancer les travaux nécessaires et le juge d’instruction a rendu une ordonnance de non-lieu.
Les premiers travaux de mise en séparatif (un réseau d’eaux usées + un réseau d’eaux pluviales) étaient prévus dans la première tranche d’aménagement du centre-ville : des études largement engagées par la municipalité de B. Thomyre que nous avons fait évoluer à la marge. Mais, ce n’était qu’un début, car le réseau unitaire remontait au milieu des années 50, et il fallait aussi remonter la capacité de la station du Maguéro avant de transformer le Pont-Plat en une station de relevage : toutes les eaux usées de l’ancien réseau sont désormais refoulées vers le point haut de Lenruit avant de redescendre vers le Maguéro.
Il a fallu ensuite commencer à traiter les eaux pluviales avec le bassin de dépollution du Pont-Plat. Achevé en 2013, critiqué en 2014 (pour les élections?), il n’est pourtant qu’une étape dans le traitement du vaste sujet des eaux pluviales. Plus récemment, la ville a construit un bassin tampon au-dessus du Moulin Glaud. Un autre devrait être créé du côté du Vieux Presbytère. Mais il est question d’une étude d’ensemble à l’échelle de l’agglomération.

Un bassin tampon de lotissement

Imperméabiliser = déplacer et aggraver le problème

Goudronnages, caniveaux, réseaux divers, tout cela conduit à une imperméabilisation des sols : l’eau file au plus vite, au plus bas. Pour tenter de ne pas aggraver les problèmes en aval, la réglementation a imposé dans les opérations d’urbanisme de réserver de l’espace pour un bassin tampon, où les eaux sont stockées, ralenties. Les volumes et par conséquent les surfaces dédiées étaient calculées en fonction des pluies décennales…
Pourtant ces bassins, parfois entretenus, souvent à l’abandon (voir la photo ci-dessous), restent souvent à sec : construits pour répondre à une obligation, ils ne correspondent pas toujours à un réel besoin.
Aujourd’hui, sans doute de façon plus raisonnable, on va préférer l’infiltration sur place, par des noues,par des zones de stationnement perméables. Par exemple, la municipalité a choisi de désimperméabiliser partiellement la cour de l’école et le giratoire de la place Gombaud. Dans les opérations d’urbanisme, les eaux pluviales doivent désormais être traitées à la parcelle. Et les collectivités ont même, depuis 2010 et la loi Grenelle 2 (Borloo, Sarkozy), la possibilité de créer une taxe imperméabilisation pour financer la gestion des eaux pluviales.

Avoir plus de terres labourables
Agrandir la surface de terres labourables était pratiquement la seule manière d’accroître la production et partant les ressources disponibles pour la famille. Et cela ne pouvait se faire que par le défrichement des espaces naturels : chez nous, essentiellement des landes et broussailles. Le mouvement remonte très loin dans l’histoire, mais on en voit les traces en observant les anciens cadastres, les cartes d’état-major du XIXème siècle, et plus récemment les photos aériennes qui mettent face à face l’état des lieux dans les années 50 et aujourd’hui. Pour approfondir, voir Colonisation et défrichement des Landes de Lanvaux.

Sources de ces cartes (grossièrement découpées)
Les cartes de geoportail (qui peuvent remonter à Cassini, Etat-Major XIXème,cadastre d'aujourd'hui)
Les cartes Bretagne de 1950 à nos jours 
Le cadastre napoléonien (1823)

Le nom des parcelles rappelle parfois cette histoire : le tranchis (défriché à la tranche, donc à la seule force humaine), le défréchis (champ défriché) de la bande qui a peut-être été réalisé par une charrue balance tirée par plusieurs paires de bœufs. Défricher afin de semer un peu plus de sarrasin (blé noir), de seigle, et, après amendement et fumure, du blé, du froment, la céréale qui donne le pain.

Une charrue balance attelée à un tracteur

Remembrement, drainages
La conquête de nouvelles terres labourables a été un des objectifs des remembrements : l’arrachage des haies a permis de mettre en culture des parcelles jusque là trop petites. Le creusement et le recalibrage des ruisseaux du chevelu hydraulique ont ouvert au labour des prairies mouillées et d’autres surfaces ont été conquises par drainage (subventionné) des zones humides. Tout cela renvoie à des pratiques anciennes de l’agriculture : voyez l’assèchement des polders en Hollande, des Marais Pontins du Latium, avec, dans ce cas, un double objectif : lutter contre la malaria et mettre en culture des terres stériles.
En conséquence, ces terres drainées, qui retiennent moins l’eau, n’ont plus joué leur rôle d’éponge, de stockage et sont devenues sensibles aux épisodes de sécheresse. Il a fallu trouver des solutions pour pallier les difficultés qu’on avait créées. Nous n’avons pas chez nous de bassines, encore moins de méga-bassines remplies par pompage dans les nappes phréatiques. Nous avons cependant des retenues collinaires, souvent en tête de bassin. Elles permettent l’irrigation des cultures pour assurer la régularité des rendements. Voir aussi cette étude du CRESEB : Les retenues d’eau : une opportunité d’adaptation au changement climatique ?

Une réflexion sur « L’eau désirée, l’eau rejetée (Histoire d’eaux 4) »

Les commentaires sont fermés.