Théorème de Marguerite

Où habite Marie Curie?

Fin 2023, Xavier Jaravel, professeur d’économie à la London School of Economics, a publié
Marie Curie habite dans le Morbihan, un petit livre d’à peine 120 pages qui veut démocratiser l’innovation. Selon lui, nous gâchons nos chances, nous avons près de nous des Marie Curie ou des
Albert Einstein que nous ne savons pas repérer
et encourager.

En conclusion, il donne trois pistes pour transformer nos dynamiques d’innovation tout en réduisant les inégalités :
le refus du protectionnisme ;
la participation active des citoyens ;
la politique éducative.

À quelques jours de la rentrée scolaire…
La réflexion de l’auteur sur la politique éducative commence par de constats largement partagés. Les études internationales montrent des résultats déplorables en mathématiques et pratiquement dans tous les domaines (enquêtes PISA et autres). Avec des inégalités fortes en fonction du sexe, de la famille, de l’origine sociale, du territoire. Alors que notre République veut porter une ambition d’égalité, elle donne souvent plus à ceux qui ont déjà beaucoup et moins aux autres. Déjà, en 2012, un rapport de la Cour des Comptes montre que l’éducation nationale dépense 47 % de plus pour un lycéen parisien que pour un élève de Créteil.
Le métier d’enseignant n’attire plus. Ils sont souvent méprisés, et surtout mal payés : en 20 ans, ils ont perdu 20 % de pouvoir d’achat ; dans le même temps, celui du SMIC augmentait de 24 %. Je ne parlerai pas de choc des savoirs, mais, comme le demande l’auteur, il nous faut faire de l’éducation une ambition nationale, partagée par tous les citoyens. Afin de « promouvoir une politique éducative qui suscite les vocations pour l’innovation et la science, indépendamment du sexe, de la famille, de l’origine sociale et du territoire, bref une politique éducative qui permette au plus grand nombre d’adopter, de diffuser et de façonner les innovations.« 
Bien sûr, ce n’est pas ici que nous allons faire la grande réforme du système éducatif, mais on peut quand même commencer à y réfléchir. Parce que c’est un enjeu pour toute la société.

C’est pas pour nous ? Si !
Les pesanteurs sociales existent, et l’école, qui prétend favoriser l’égalité des chances, fonctionne plutôt comme une machine à reproduire (et même à conforter) les inégalités, au profit de ceux qui sont les héritiers, qui savent sans avoir besoin d’apprendre parce que leur milieu les a comblés de toutes les richesses (financières et culturelles).

Pour ceux qui voudraient y regarder de plus près, trois livres de P. Bourdieu
- Les Héritiers,
- La Reproduction,
- La Distinction,
- et pour ce dernier, une transposition en BD,

Tiphaine Rivière s’empare avec humour du classique de Pierre Bourdieu, La Distinction, pour en proposer une relecture libre et contemporaine.
À travers une galerie de personnages évoluant autour d’une classe de lycée, elle met en scène l’analyse incisive des relations entre goûts et classes sociales développée par le sociologue et nous donne à réfléchir sur nos propres déterminismes sociaux

De reconnaître ces contraintes nous permet de tenter de les dépasser. D’abord en montrant aux jeunes de chez nous et à leurs familles que c’est possible (et nécessaire). Les filles d’aujourd’hui ne sont pas réduites aux rôles de secrétaires, d’aides-soignantes, comme leurs grands-mères dans les années 50 devaient se contenter de l’école ménagère, tandis qu’à leurs grands-pères on disait : « Tu en sauras bien assez pour mener les bœufs. »
Xavier Jaravel insiste fortement sur la nécessité de fournir aux élèves des modèles qui leur permettent de se projeter dans des métiers, des rôles qui leur paraissent inaccessibles. Cela se fait déjà dans nos établissements scolaires par des rencontres avec les anciens élèves, mais il faudrait sans doute généraliser et mieux faire connaître ces initiatives au-delà de l’école pour que tout l’entourage aussi se libère de ces blocages.
Mais sans oublier l’aide formelle à l’orientation pour inciter les filles, mais aussi les garçons, à choisir les sciences ou les filières techniques.

Le refus du repli sur soi
L’auteur, qui n’est pas un économiste atterré, rejette le protectionnisme qui stérilise alors que l’ouverture est féconde. Conscient de mon ignorance, je n’entrerai pas dans ce débat. Je me contenterai de dire les risques du repli sur soi, de faire sa petite cuisine sur son petit réchaud, selon la formule attribuée au général De Gaulle : la stérilisation, la sclérose. Et nous avons la chance à Questembert d’avoir des établissements scolaires ouverts aux échanges : voyages scolaires, classes européennes, et, surtout, au lycée Marcellin Berthelot, le programme européen Erasmus+ qui concerne aussi les élèves des sections professionnelles.

La participation active des citoyens
Cette 3ème proposition est peut-être la plus surprenante : pour innover, il faut engager toute la société, tous les citoyens dans la démarche. En effet, selon Xavier Jaravel, l’innovation ne fonctionne pas en ruissellement à partir d’en haut, d’inventeurs isolés dans leur labo, de technocrates planificateurs. L’innovation se développe en rizhomes, sans hiérarchie ni arborescence. L’innovation s’élabore en réseaux qui irriguent tous les secteurs de la société. Et c’est absolument nécessaire, car les innovations suscitent des résistances et elles ne peuvent se développer sans le consensus social. Plus près de chez nous, les travaux de Véronique Lucas (de Questembert et de l’INRAe) montrent comment les pratiques agroécologiques se développent à bas bruit.

Pour aller plus loin, voir cet article de V. Lucas Un levier pour la mécanisation devenant aussi un levier pour la transition agroécologique qui montre comment le développement des CUMA a été un facteur fondamental d’innovation. 

Pour faciliter l’engagement des citoyens dans l’innovation, X. Jaravel propose de généraliser les conventions citoyennes, à l’image des conventions pour le climat, pour la fin de vie : des citoyens tirés au sort (pour la diversité) qui travaillent avec des experts pour dégager des orientations. Ce serait un changement radical et prometteur dans la gouvernance des politiques d’innovation.

Oui, Marie Curie habite chez nous
Et Albert Einstein aussi. À nous de découvrir ces trésors cachés, de leur donner leur chance, de leur donner confiance. Ici et maintenant.

Une interview à Radio Balises
Le 16 mai, Xavier Jaravel était l’invité de Radio Balises dans le pays de Lorient. Ci-après, le lien vers l’émission. Dans les 13 premières minutes, c’est une interview de François Hollande à propos de son livre Leur Europe. Ensuite, c’est l’interview de Xavier Jaravel.

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