Baisser les impôts, dit-il

Au conseil municipal du 29 mars, on a entendu une fois de plus la petite musique de la démagogie : « il faut baisser les impôts, car, à Questembert, les taux sont nettement plus élevés que dans les communes alentour. » « Et puis, il faut aider nos concitoyens qui sont en grande difficulté. » Cela mérite une mise au point, n’est-ce pas?

En vidéo

Vous pouvez écouter ce qui s’est dit dans les débats au conseil à propos des taux de fiscalité. (vers la 23ème minute)

Les Taux, et les bases

« Les taux à Questembert sont très élevés, Questembert est champion des taux de fiscalité dans le Morbihan. » Ah, combien de fois l’ai-je entendu ce refrain, combien de fois l’ai-je lu dans le 56230 (un site internet et une publication d’avant 2014) ! Message facile, même pas un mensonge, juste une façon un peu malhonnête de présenter les faits. Le pékin lambda peut avoir l’excuse de l’ignorance, il faut donc apporter l’information, en espérant qu’elle soit entendue. Mais de la part d’élus éclairés, c’est juste de la mauvaise foi. Ou alors, il y a un gros besoin de formation. Et dans tous les cas, cette démagogie n’honore pas ceux qui s’y laissent aller ; elle contribue en outre à disqualifier la parole politique. Pour ma part, je crois qu’il est nécessaire d’apporter à tous les citoyens les informations pour se faire une opinion plus juste, sans se laisser abuser par les propos démagogiques.

Eh oui, les taux de la fiscalité sont élevés à Questembert, mais il est facile de vérifier si les contribuables de la commune sont écrasés d’impôts. Il y a des outils pour ça, certains accessibles au grand public, comme les comptes individuels des collectivités sur le site ministériel; d’autres documents, comme les fiches AEFF du Trésor public, sont adressés aux maires, mais il est facile de les demander… et de les obtenir.

Dans les documents suivants, on voit tout de suite qu’en 2019, les Questembertois ont payé 561 € par habitant, alors que les habitants des communes de la même strate (5 000 à 10 000 habitants) ont payé 500 €.

Les impôts locaux en 2019
Les impôts locaux en 2013

Vous noterez avec intérêt que l’écart était un peu plus faible en 2013 : 473 € par habitant à Questembert contre 448 € en moyenne de la strate… L’écart s’est creusé avec la suppression de l’abattement général à la base. Voir notre compte-rendu du conseil du 21 septembre 2017.

De mon côté, j’ai publié régulièrement des tableaux comparatifs sur les impôts locaux. En me fondant sur les contributions de foncier bâti et de taxe d’habitation, car pour le foncier non bâti, ça dépend trop de la superficie des communes. Et en ajoutant la fiscalité intercommunale. Le tableau ci-dessous concerne 2015.

Comparaison des impôts en 2015

Retrouvez ici quelques uns de mes articles sur le sujet:

Avec les réformes récentes de la fiscalité, ces comparaisons ne sont plus possibles, mais globalement la tendance n’a pas changé !

Les bases… et les taux !

Oui, les taux sont élevés, et pourtant le produit – ce que paient les contribuables – est plutôt proche de la moyenne. Pourquoi donc ? Parce que les bases d’imposition sont historiquement faibles ! La définition des bases remonte à 1971. Une tentative de mise à jour au début des années 90 a été rangée dans les placards : le sujet est explosif. Plus récemment, les services de l’Etat ont commencé une révision des valeurs locatives des locaux commerciaux… Le principe sera ensuite étendu aux locaux d’habitation. En attendant, les commissions locales d’impôts directs (les égailleurs) ne font que classer les nouveaux bâtiments ou les bâtiments rénovés dans la grille ancienne. Au bout du compte, la valeur locative moyenne à Questembert est inférieure à ce qu’elle est dans bien d’autres communes. Là encore, le site officiel nous donne l’information : en 2019, en foncier bâti, la base par habitant est de 1076 € par habitant à Questembert, contre 1302 €/hab en moyenne pour les communes de la même strate. La fiche AEFF de 2018 est plus précise puisqu’elle donne les valeurs locatives moyennes pour Questembert, pour le département, la région et au niveau national. Et ces différences ne reflètent pas les écarts de prix de l’immobilier entre notre ville et les autres.

VLM sur la fiche AEFF 2018

Les services offerts à la population

Mais les comparaisons deviennent ridicules, lorsqu’elles s’appliquent aux communes voisines. Qui évidemment n’offrent pas les services de la ville centre. Un adjoint d’une commune toute proche expliquait, il y a quelques années : « Venez chez nous, les terrains sont pas chers, les impôts sont très bas… et vous avez tout à Questembert ! ». Un peu cynique, mais tout à fait pertinent. L’association des petites villes de France (APVF) a longtemps lutté pour faire reconnaître ce qu’on appelle les « charges de centralité ».

Le plus bel exemple chez nous est celui de la piscine. Au temps du SIVOM, la commune de Questembert supportait 80 % des coûts, et donc du déficit ! Des discussions tendues ont abouti à un partage un peu plus équitable (voir cet article ici).

L’État a fini par tenir compte de ces charges qui s’imposent aux villes centres à travers la DSR (Dotation de Solidarité Rurale) qui comporte une ligne dotation bourg centre. Sur les 850 K€ de la DSR de cette année, la fraction bourg centre s’élève à 450 K€. Les habitants de Questembert bénéficient de services (par exemple la maison de l’enfance) qui expliquent une charge fiscale plus importante, mais la plupart des services sont ouverts aux habitants des autres communes, ce qui justifie la dotation spécifique de l’État.

Les dotations 2020

Les Questembertois plus pauvres que d’autres ?

La démagogie, c’est aussi de faire semblant de se ranger du côté des plus démunis. Pas question bien sûr de nier les difficultés liées à la crise sanitaire. Mais là encore, sur ce sujet, les données de l’INSEE feront office de juge de paix : le revenu médian des Questembertois est 21 200 €, il est de 21 600 € pour le Morbihan (chiffres 2018). A vérifier dans le dossier complet de la commune sur le site de l’INSEE, accessible à tous!

La taxe foncière, un marronnier au mois d’octobre

Dans la presse, on appelle marronnier un article qui tombe à peu près toujours à la même période, le modèle de base étant le marronnier en fleurs. Chaque année, quand tombent les marrons, tombent aussi nos taxes foncières, et la presse nous ressert le même marronnier : la taxe foncière a bondi de 30 % en dix ans. La presse reprend ainsi la communication de l’UNPI (Union Nationale de la Propriété Immobilière)… sans y porter un regard critique.

Le marronnier en fleurs (Par Alina Zienowicz Ala z — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=2171768)

« La taxe foncière a flambé en 10 ans »

C’est le titre de l’article d’Ouest France le jeudi 22 octobre dernier. Le Point, de son côté, parle de la hausse COLOSSALE de la taxe foncière en 10 ans en se référant à une information « dévoilée au Parisien ». Ah! la force persuasive du secret dévoilé! Presque tous les organes de presse reprennent les  éléments de langage fournis par l’UNPI dans 4 documents très bien faits.

  1. Les résultats de l’Observatoire des Taxes Foncières pour la période 2009-2020
  2. Le dossier de presse Observatoire des Taxes foncières 14ème édition
  3. Taxes foncières : augmentation de 34,7 % en dix ans (communiqué de presse)
  4. Diaporama présenté à la presse.

Désinformation ? Fake-news ? Non, tout est vrai : l’UNPI souligne même que l’augmentation des taxes est en partie liée à la revalorisation des bases locatives par le parlement : chaque année, le Parlement vote un taux de revalorisation des bases locatives qui est à peu près celui de l’inflation. Car si l’on calculait l’augmentation en déduisant l’inflation, on en serait à un peu plus de l’accroissement constaté, et ce serait moins colossal ! Si on se rapporte au calculateur d’inflation, entre 2009 et 2019, l’augmentation des prix est proche de 12 %.

Et pendant ce temps-là, les loyers ?

D’une région à l’autre, et même plus précisément d’une ville à l’autre, l’évolution peut varier, mais pour avoir une idée globale, on peut se référer à l’IRL (indice de révision des loyers) : de 2009 à 2019, l’IRL est passé de 117,41 à 130,26. Pas de grande surprise, cela ressemble à l’inflation.

La flambée de l’immobilier

La valeur locative, base de l’imposition foncière, est désormais largement fictive : malgré la revalorisation annuelle votée au parlement, le point de départ de ces valeurs locatives remonte à la fin des années 70, les constructions nouvelles sont évaluées par rapport à des locaux de référence. Une réforme globale des bases serait appliquée en 2023, elle tiendra compte des loyers réels pratiqués. On aura ainsi un lien avec la valeur de la propriété.

Mais qu’est-ce qui fait la valeur d’une maison ou d’un appartement ? D’abord, la surface, le confort. Mais aussi sa situation : une maison en presqu’île de Rhuys est plus attrayante qu’une maison à … Questembert, par exemple. Et puis également, les aménités offertes par la ville : les commerces, les services publics ou les services marchands. Et les politiques municipales peuvent avoir un effet massif sur l’attractivité d’une ville. Pour prendre l’exemple de Nantes – où les taxes foncières ont augmenté fortement – est-il besoin de rappeler tout ce qui a été fait pour améliorer la vie des habitants ? Le tramway, mais aussi la Folle Journée ou le Voyage à Nantes. En ce moment, on voit, à Rennes, l’effet de la construction de la nouvelle ligne de métro : les prix des appartements situés sur le parcours augmentent considérablement. N’est-il pas cohérent que les propriétaires paient un peu plus de taxes foncière, eux dont les biens prennent de la valeur grâce aux investissements financés par les impôts? Ci-dessous, une infographie du Figaro : au moins 20% de plus-value sur 5 ans à Rennes.

Prix de l’immobilier à Rennes Le Figaro

Des éléments de langage qui devraient être nuancés

Notre quotidien régional, qui se revendique de la tradition démocrate chrétienne (Justice et liberté), s’honorerait de ne pas se contenter de reprendre les éléments de langage fournis par un lobby puissant, l’UNPI. Sous un autre éclairage, le citoyen pourrait se faire un jugement plus nuancé.

Justice et liberté