La balance des pouvoirs locaux

J’étais, il y a quelque temps, à l’assemblée générale de l’ARIC (Association Régionale pour l’Information des Collectivités locales). Pour le cinquantenaire de cette association pluraliste d’élus au service de la formation des élus. L’occasion d’un retour en arrière sur cette belle histoire, sur une aventure qui continue, parce que la formation des élus est toujours nécessaire. Parce que les domaines d’intervention et les responsabilités des élus ont bien changé depuis 50 ans.

Donner du temps au temps

NB : Pas plus que les autres articles, celui-ci n’est pas d’abord destiné aux élus; je veux simplement éclairer les citoyens sur des sujets qui ne leur sont pas forcément très familiers.

Un besoin impérieux en 1971

Un groupe de jeunes élus ruraux des Côtes-du-Nord : en 1971, Sébastien Couepel est maire d’Andel depuis 1965, et Pierre-Yvon Tremel, lui, vient d’être élu à Cavan. Ils mesurent l’ampleur des défis qu’ils doivent relever, et se disent qu’ils doivent se former pour être plus efficaces. Avec quelques autres élus, ils fondent l’ARIC cette association horizontale où l’on se forme en partageant les savoirs et les expériences.

Le partage des pouvoirs locaux dans les années 60-70

On n’en est pas encore aux lois de décentralisation : le préfet exerce la tutelle de l’Etat sur les communes, relayé sur le terrain par les percepteurs qui pilotent les finances et les ingénieurs des subdivisions des Ponts-et-Chaussées (la DDE, l’Equipement) qui dirigent les travaux. Ajoutez à cela le poids des conseillers généraux dans les cantons où ils distribuent les subventions du conseil général (lui aussi sous la tutelle du préfet). Sans parler du député ou du sénateur. Les élus de base sont englués dans un réseau de pouvoirs tant concrets que symboliques.

De toute façon, ils s’y sentent bien à l’aise, récompensés par leur statut de notables tout fiers de présider les comices agricoles. D’ailleurs, ils sont les propriétaires terriens ou les commerçants qui comptent dans leur territoire. La plupart du temps, ils ont aussi la bénédiction du curé de la paroisse. Dans les petites communes surtout, le maire est souvent le châtelain qui possède une bonne part des fermes – et métairies ! – et qui exerce une sorte de tutelle sur les paysans. Autour du maire, un conseil municipal qui ressemble à un syndic de copropriété et où les gens de peu sont considérés comme des gens de rien. Sous les apparences républicaines, c’est un système presque féodal qui structure la vie politique locale.

Les choses ont bien changé

Une nouvelle génération d’élus

Dans cette décennie 1965-1975, arrive une nouvelle génération d’élus, souvent formés à l’autonomie par la JAC (Jeunesse Agricole Chrétienne). Plus question pour eux de se contenter de se soumettre aux chefs coutumiers, de suivre la tradition ; il s’agit de penser par eux-mêmes, de décider après avoir confronté leur vision du réel à leurs valeurs. Leur démarche trouve sa synthèse dans le triptyque Voir Juger Agir.

Pour étoffer la réflexion, on peut aller voir, sur vocajob.com, cette interview de Sébastien Couépel où il expose son parcours.

Avec l’ARIC, ils se dotent d’un outil adapté à leurs besoins de formation. Ils se forment entre eux en confrontant leurs savoirs et leurs expériences, ils savent solliciter des experts aussi, car ils ont pris la mesure de leurs lacunes.

Dans d’autres régions, naissent d’autres organismes de formation à la politique locale. À Grenoble, et ailleurs, ce sont les GAM (groupes d’action municipale), fondés par des militants associatifs ou syndicaux (de la société civile) qui considèrent que les organisations en place n’apportaient de réponse adaptée aux besoins sociaux. C’est encore l’ADELS (Association pour la démocratie et l’éducation locale et solidaire) créée en 1959 qui veut promouvoir la participation des citoyens à leur cadre de vie et le renouvellement de la démocratie.

Les lois de décentralisation

Puis, avec l’arrivée de François Mitterrand à l’Élysée, Gaston Defferre va préparer les lois de décentralisation (1982-1983). Comme souvent, la loi est en retard sur les pratiques. Grâce à la décentralisation, les collectivités vont obtenir leur autonomie : désormais, le contrôle de l’État se fait a posteriori. Cependant, percepteurs et ingénieurs des subdivisions gardent une très forte influence sur les décisions locales. Pourtant, beaucoup d’élus vont s’emparer de cette liberté nouvelle, d’autres pleurnicheront se plaignant à la fois des « contraintes, des normes » et du désengagement de l’État, demandant en quelque sorte le beurre et l’argent du beurre.

Saisir les opportunités, c’est par exemple s’inscrire dans les programmes soutenus financièrement : les médiathèques (mais il faut respecter les exigences de surface par habitant et de qualification des personnels), les multi-accueils pour la petite enfance (là aussi en suivant les normes). Aujourd’hui, les collectivités sont invitées à mettre en place des maisons de services au public, les espaces France Services ou s’inscrire dans l’appel à projets Petites Villes de demain. Libre aux élus de s’engager dans ces projets… ou de se priver de ressources. Comme la ville de Questembert qui, dans les années passées, n’a pas saisi la chance offerte par les appels à projets pour la reconquête des centres-villes, quand d’autres communes obtenaient des financements importants : Mauron (700 000 €), Noyal-Muzillac (657 000 €), Lesneven (1 100 000 €). J’en avais parlé dans mon article Une brassée de fleurs pour Mme Martin.

Plus de responsabilités pour les élus

L’État et ses services ne sont plus là pour tenir (ou retenir !) la main des élus locaux. Une situation qui a imposé de s’entourer de nouvelles compétences, aussi bien dans le domaine administratif que dans les domaines techniques. La formation des personnels en place a permis de répondre en partie aux besoins, mais il a fallu recruter : à Questembert, par exemple, des spécialistes en finances, en gestion du personnel, des cadres pour les bâtiments, la voirie, les services techniques. Faute de pouvoir recruter des professionnels dans tous les domaines, les collectivités ont fait appel à des cabinets extérieurs. Par exemple, quand il s’est agi de préparer un PLU, un Plan Local d’Urbanisme.

Mais les élus eux-mêmes ont dû suivre des formations plus pointues, sauf à laisser la main aux administratifs, aux techniciens, ou aux spécialistes des bureaux d’études. Encore plus aujourd’hui qu’il y a 50 ans, quand des pionniers fondaient l’ARIC, la formation est une nécessité absolue pour les élus, hommes et femmes.

Les élus doivent s’investir à plusieurs niveaux

Rendre à César… Tous les dessins sont dus à Loïc Schwartz qui les a réalisés au cours de l’AG de l’Aric à Iffendic le samedi 9 octobre.

Voir ici les propositions de l’ARIC.

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Un exemple ici consacré aux relations Commune/Intercommunalité.