Voici une 6ème page de mes Histoires d’eaux. Commencée avec l’eau des puits et des fontaines de village, des puits publics en ville, de l’eau des lavoirs, de l’eau des marais et des prés mouillés dans Histoires d’eaux 1, la série m’a conduit à regarder le changement radical des années 50 avec L’eau à la maison, histoires d’eaux 2, premières réponses pour amener l’eau à la maison : pompes à béliers, électropompes, réseaux de village puis la construction des réseaux d’eau potable et de tout-à-l’égout dans la ville dans Le service d’eau (Histoires d’eaux 3). Le 4ème article L’eau désirée, l’eau rejetée (Histoires d’eaux 4) soulignait à la fois la peur de l’eau dont on se débarrasse au plus vite et le désir de l’eau. Le 5ème volet s’attachait aux charmes et plaisirs de l’eau.
Dans les années 70, chacun veut son plan d’eau. C’est l’époque de l’étang du Moulin Neuf (Malansac, Pluherlin, Rochefort-en-Terre), de l’étang de Célac. Mais Larré, La Vraie-Croix, Berric, Lauzach veulent aussi avoir leur plan d’eau. Les particuliers eux-mêmes veulent avoir leur étang : sur le chevelu qui, en amont de Kerantal, vient grossir le Tohon, j’en ai repéré au moins 6, un seul, celui du Rhé, ayant eu une utilité pratique (irrigation). En surface, cela va de la mare de 400 m² environ à près de 5 000 m², un demi-hectare.
Charmes et plaisirs de l’eau!
Cet engouement n’est pas neuf. Nous avons tous chanté À la claire fontaine, nous avons appris Le Lac de Lamartine ; avec Nerval, nous avons rêvé dans la grotte où nage la sirène.
Avec leurs étangs privés, les particuliers se sont offert une richesse symbolique. Et les élus, qui partageaient les mêmes aspirations, ont doté leur commune des plans d’eau plus ou moins vastes. Dans un article de son blog, Jean-Pierre Ferrand, spécialiste des sociotopes (la manière dont les gens vivent dans les espaces), rappelle combien cette demande est forte : Quand vous consultez des habitants sur ce qu’ils aimeraient trouver dans tel espace public, le thème de l’eau est presque toujours mis en avant : fontaines, vasques, bassins, ruisseaux, tout est bon pour créer un point d’attrait et rafraîchir le visiteur… les élus se laissent volontiers séduire par de telles perspectives et les élus ont répondu aux attentes de leurs concitoyens.
Cinquante ans plus tard…
Cinquante ans plus tard, beaucoup de ces étangs ont perdu de leurs charmes. Envasement, cyanobactéries, dégradation globale de l’environnement : ces plans d’eau qui paraissaient si agréables le sont de moins en moins.
La plupart étaient creusés dans le fil des ruisseaux tributaires : des ruisseaux, souvent reprofilés, trop rectilignes, charriant des boues arrachées aux champs labourés, sans haies qui retiennent le ruissellement. Quelques uns de ces étangs étaient déconnectés du fil d’eau et se trouvaient, au moins en partie, préservés des masses de sédiments apportés par les ruisseaux. Les pêcheurs de la Truite Questembergeoise l’avaient suggéré aux élus des années 70 qui avaient lancé le projet – intéressant – du camping et du plan d’eau. Leur proposition n’avait pas été retenue. Au milieu des années 90, vingt ans après le creusement, le lac s’était envasé au point que la hauteur moyenne ne dépassait pas un mètre et, vers la queue de l’étang, les canards traversaient à pied sec. Ce qui avait conduit les élus de l’époque – moi le premier – à mener une opération lourde de curage, difficile à refaire aujourd’hui. La situation de notre étang était commune à bien d’autres plans d’eau. D’où la nécessité de faire une curage, sauf à accepter le comblement naturel. Vingt ans plus tard, c’était à refaire… et ce n’est pas encore fait.
A ce problème mécanique, est venue s’ajouter la prolifération des cyanobactéries – les algues bleues – qui se nourrissent des nutriments apportés par le ruisseau : nitrates et phosphates. Dès que la température de l’eau s’élève aux alentours de 20°, les cyanobactéries se développent massivement… Et en se décomposant, elles produisent des toxines dangereuses pour la santé humaine. A lire dans cet article Les cyanobactéries toxiques prolifèrent dans les étendues d’eau. Et sur ce sujet, on en trouve à foison.
La prolifération des cyanobactéries est en fait un des multiples signes de la dégradation globale de l’environnement. Les alluvions apportées par le ruisseau sont chargées de nutriments (nitrates et phosphates principalement). Si les nitrates – plus solubles – s’échappent en partie à la sortie de l’étang, les phosphates, plus lourds, se déposent au fond, et à la faveur des chaleurs de l’été, font exploser les cyanobactéries. La décomposition des algues réduit le taux d’oxygène de l’eau (tant pis pour les truites). Le superbe miroir d’eau est aussi un très bon capteur de chaleur et la température de surface augmente. Au total, la richesse biologique diminue…
Alors oui, il y a des cygnes! Et ils sont beaux comme un poème de Sully Prudhomme, grand poète, premier prix Nobel de littérature, grand fournisseur de poésies pour le certificat d’études.
Le cygne Sully Prudhomme Sans bruit, sous le miroir des lacs profonds et calmes, Le cygne chasse l’onde avec ses larges palmes, Et glisse. Le duvet de ses flancs est pareil A des neiges d’avril qui croulent au soleil...
Eh oui, notre étang de Célac n’est plus ce qu’il était, en dépit des apparences encore flatteuses. Un joli patrimoine, oui, mais en piteux état. Il est temps de penser sérieusement, avec le moins de polémiques possible, à son adaptation aux exigences d’aujourd’hui : restaurer la continuité écologique et garder pour nous tous un lieu de promenade agréable. Nous en sommes capables, j’en suis sûr.
Et ailleurs
Encore un exemple à Lamballe Terre et Mer (22)
Oui… notre conscient et sans doute aussi notre inconscient nous suggèrent des attirances du « beau », parfois irrationnelles, pas toujours… le bruit d’un moteur qui monte dans les tours, un feu surtout s’il est dans une belle cheminée, une étendue d’eau calme, un ruisseau chantant sur les cailloux… je vote pour le 2ème et le 4ème… Je me souviens… faisant partie désormais du 3ème âge, pas encore du 4ème… qu’enfant à l’école, l’instituteur nous demandais de dessiner un village. Tous les élèves y mettaient une église avec son clocher, une mairie parfois… l’école surement… mais aussi et à chaque fois la rivière serpentant dans une prairie avec des vaches… Notez bien « la rivière serpentant », pas droite… parfois une marre avec les grenouilles mais pas un étang… Il faut dire que c’était bien avant les années 70.