Philippe Schmit, ancien secrétaire général de l’ACDF (Assemblée des Communautés de France), donnait une conférence devant l’assemblée générale de l’ARIC (Association Régionale pour l’information des collectivités) le 1er octobre à Quimperlé. Au centre de son intervention, une réflexion sur les enjeux de l’urbanisme face au changement climatique : les évolutions de la loi qui confère à l’État seul la définition de l’intérêt général, et les conséquences de ces évolutions sur les relations entre élus ainsi que les relations entre le maire et le pétitionnaire.
Qui est Philippe Schmit?
Un expert en politiques publiques locales, aménagement, urbanisme, foncier. Etudes, conférences, animation. Président fondateur Urba demain.
L’article L 102 du code de l’urbanisme…
Philippe Schmit a ouvert sa conférence en parlant de l’article L. 102 du code de l’Urbanisme. Mais d’abord la première phrase du premier article L 101 -1 « Le territoire français est le patrimoine commun de la nation. » Beau principe ! Et prenons la deuxième phrase : « Les collectivités publiques en sont les gestionnaires et les garantes dans le cadre de leurs compétences. » Et passons à l’article L 102… Sur la notion d’intérêt général : « L’autorité administrative compétente de l’Etat peut qualifier de projet d’intérêt général tout projet d’ouvrage, de travaux ou de protection présentant un caractère d’utilité publique » Oui, c’est l’État qui définit l’intérêt général.
Sans doute pertinent, sans doute juste, mais quelle place reste-t-il pour les pouvoirs locaux, sinon la mise en œuvre contrainte de cet intérêt général. (NB perso : il ne s’agit pas de la démagogie ruraliste, trop souvent entendue! Mais de la réalité que vont vivre les élus locaux… et les habitants). Et l’intérêt général défini par l’État, défini par le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, validé par le pouvoir judiciaire, va se décliner dans les SRADET, les SCOT, les PLUi… Avec un nouvel objectif, le ZAN Zéro Artificialisation Nette, qui obligera à compenser (comment ? Où ?) les surfaces dédiées à l’habitat, aux voiries.
Sur le ZAN, Zéro Artificialisation Nette, l’ARIC propose aux élus une formation. Réussir la sobriété foncière.
Risques d’inondation, de submersion marine
Les risques d’inondation, de submersion marine, sont déjà perceptibles, ils vont s’accroître sous l’effet du réchauffement climatique. Avec des conséquences sur des espaces habités et sur des zones qui ont été classées constructibles et qu’il faudra déclarer inconstructibles.
Des textes d’une effarante complexité, conçus par des spécialistes, que devront appliquer, expliquer, imposer, des élus de base : même s’ils se forment – et ce n’est pas toujours le cas – les élus seront réduits à s’en remettre à des techniciens qui prépareront – imposeront ? – des décisions, présentées à la signature du maire. Et le maire devra expliquer, justifier pourquoi le terrain n’est plus constructible : dire non ! Comment faire admettre le rétrozonage ? Un terrain valorisé par un zonage favorable verra sa valeur ramenée à rien, ou à presque rien. Dans une société marquée par les crispations déjà nombreuses, il y a là un potentiel de frustrations explosives. Voir les Plumés du Morbihan.
2010, Xynthia, à La Faute-sur-Mer, 29 morts (47 sur toute la côte). Une tempête de force exceptionnelle – mais il y en aura d’autres – démontre cruellement l’inconséquence de ceux qui ont rendu constructibles ces terrains à risque. Moins dramatique, puisqu’il n’y a pas eu de victimes, le cas du Signal à Soulac-sur-mer : l’immeuble construit entre 1965 et 1970 à 200 mètres du trait de côte (oh, la belle vue sur la mer!) est voué à la démolition, menacé par l’érosion côtière. Pas de drame, sauf pour les finances publiques : les propriétaires seront indemnisés par un fonds de 7 millions d’euros abondé par l’État. Plus de détails sur le mauvais feuilleton du Signal Les tribunaux ont aussi examiné les responsabilités dans le drame de la Faute-sur-mer et décidé des indemnisations, fondées sur les carences de l’État. Le maire a lui aussi subi les foudres de la justice…
Demain, les élus locaux verront à leur tour leur responsabilité mise en cause… Avec des conséquences, pénales pour eux-mêmes et financières pour les collectivités.
Propriétaires d’un bien individuel, copropriétaires de biens communs
Philippe Schmit a voulu attirer l’attention des élus sur la nécessité de considérer, au-delà de la surface cadastrée, un espace à trois dimensions. Le cadastre identifie le propriétaire d’une surface, mais aussi du « fonds et du tréfonds » (jusqu’au centre de la terre!) avec des limitations marginales liées au code minier. Pourtant, d’une certaine façon, nous sommes tous copropriétaires de l’air, de l’eau, des paysages, de la biodiversité, des biens communs propriété de l’humanité des biens naturels qui n’appartiennent à personne mais qui conditionnent la vie de tous.… Mais cette copropriété est souvent contestée dans les faits. Sans aller plus loin, il suffit de voir les tensions sur les usages de l’eau autour des « bassines ».
Le droit de propriété, consacré par la Déclaration de 1789, article 2
Comme bien d’autres sans doute, je n’avais pas noté l’importance accordée au droit de propriété par le texte fondateur de notre République : l’article 2 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 place le droit de propriété immédiatement après le droit à la liberté !
Art. 2. Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression.
C’est en quelque sorte un droit incorporé dans notre inconscient collectif (je suis maître chez moi), c’est un droit bien défendu par les cours de justice (cf. les difficultés des procédures d’expropriation). J’ai relevé dans la presse les mésaventures de la commune de Moëlan-sur-mer qui s’est lancée dans un projet ambitieux de reconquête de terres agricoles enfrichées de la frange littorale. Une belle idée (voir ici). Las, il s’agissait là d’une atteinte brutale au droit sacré de la propriété : saisi par le syndicat de la propriété privée rurale du Finistère, le juge des référés a suspendu les derniers arrêtés du préfet qui autorisait trois nouvelles exploitations de friches littorales à Moëlan-sur-Mer (voir ici).
De façon plus banale, les maires se trouvent en difficulté quand, malgré l’inscription au PLU, des haies protégées sont rasées. Pouvoir de police du maire ? Ah oui… On aimerait bien voir quelle suite a pu être donnée à cette affaire au Tour du Parc : Des arbres multicentenaires abattus illégalement.
De cette conférence passionnante, j’ai retenu ces quelques notes, incomplètes, sans doute en partie inexactes. Mais je me dis que la réflexion proposée par Philippe Schmit pourrait avoir de l’intérêt pour les élus, mais aussi pour tous nos concitoyens. Pourquoi ne pas l’inviter dans le cadre des travaux du conseil de développement du Pays de Vannes ou d’une assemblée communautaire comme nous le faisions à Questembert Communauté ? (Un exemple ici)