Changement d’ère, changement d’air au département

Jeudi 1er juillet, c’était l’installation du nouveau conseil départemental, et l’élection du nouveau président. David Lappartient a donc été élu par la majorité départementale. Rien de surprenant. Ce qui a pu surprendre, c’est le net changement de ton, et, si les actes suivent les paroles, un vrai changement politique.

Boris Lemaire et Marie Le Boterff, nos conseillers départementaux

Les déclarations du nouveau président dans cette vidéo

https://www.letelegramme.fr/bretagne/morbihan-lappartient-nouveau-president-promet-de-faire-dans-le-social-01-07-2021-12781394.php

De la triangulation?

La triangulation consiste pour un politique à s’approprier les idées des autres au moins dans le discours. Voir cet article de The conversation Trianguler ou l’art de s’approprier les idées des autres en politique. Que disaient nos candidats Boris Lemaire, Marie Le Boterff et leurs suppléants? Ils constataient les carences des politiques sociales, pour les personnes âgées, les handicapés, pour l’insertion. Le nouveau président va le faire. Ils parlaient de déplacements, de mobilités : il nous promet un plan vélo à l’échelle du département. Ils voulaient un engagement fort pour la transition écologique : voilà, voilà. Il n’oublie pas l’urgence de traiter la D775, où j’avais apporté quelques éléments de débat. Il nous dit aussi que le département doit mieux faire connaître ses actions. Ce que nos candidats considèrent comme absolument nécessaire.

Un changement de ton

Le nouveau président se revendique de droite, et il faut sans doute le lui accorder. Mais, au moins dans son expression, il se démarque fortement de son prédécesseur : une gestion rigoureuse (qui annoncerait l’intention de gaspiller les deniers publics?) mais sans référence aux dogmes libéraux qui sous-tendaient le discours de M. Goulard (refus par principe de la dépense publique… et de l’impôt, illégitimité de l’action publique, etc.) Changement radical aussi du rapport aux élus minoritaires : ils sont légitimes du fait de leur élection, ils ont le droit à la parole et leurs propositions pourraient même écoutées.

Des paroles… et demain des actes?

Voilà donc une entrée en matière tout à fait intéressante. Mais nous jugerons sur pièces. Avec vigilance, sans concession.

Places en EHPAD, où en est le Morbihan?

Dans Ouest-France du 12-13 juin, vous avez lu comme moi sans doute cet article intéressant Dans les domiciles partagés du Morbihan, les aînés apprécient la colocation. Les domiciles partagés sont incontestablement une solution qui séduit les personnes âgées. J’ai cependant été surpris par cette phrase dans le chapô (l’introduction) de l’article : « Afin de pallier le manque de places en Ehpad, le Département soutient la mise en place de domiciles partagés. » J’ai eu envie d’approfondir.

Une solution intéressante, mais…

Les domiciles partagés sont appréciés par les personnes âgées et leurs familles, et on le comprend bien : des petites structures, sans les lourdes contraintes des EHPAD. En filigrane, on devine les points délicats. La mairie assume la charge des loyers, et en quelque sorte sous-loue à chaque résident. Si une place reste vacante, la mairie doit continuer à payer. Les personnes hébergées doivent financer les charges de personnel : « Ce sont elles nos employeuses », reprend la coordinatrice. Des employeurs qui sont en perte d’autonomie. Heureusement, l’association Clarpa (Comité de liaison des associations de retraités et personnes âgées) assure la gestion pour la quasi-totalité de ces résidences.

Au bout du compte, la facture est un peu plus élevée que dans un EHPAD, comme le souligne la conclusion de l’article: Vivre dans un Ehpad en France coûte en moyenne 1 977 € par mois. Les domiciles partagés, 500 € plus cher, répondent seulement en partie aux enjeux de l’autonomie. Sachant qu’en moyenne les retraités touchent une pension moyenne de 1 496 €. Rien à dire.

Manque de places en institution? Vérifions

Il s’agissait, dit-on du côté du Département Conseil départemental (il s’agit bien d’une responsabilité politique!), de « pallier le manque de places en Ehpad. » Eh oui, en nombre de places, le Morbihan est bon dernier en Bretagne : 143 places disponibles pour 1000 personnes de plus de 75 ans. Contre 156 pour 1000 en Bretagne, 152 pour 1000 en Finistère, 165 pour mille en Ille-et-Vilaine, 166 pour 1000 en Côtes d’Armor. Pire, alors que les autres départements ont accru leurs capacités entre 2014, le département les a baissées! Le tableau ci-dessous est extrait des statistiques de l’INSEE

La faute à l’Etat?

D’après le Conseil départemental, ce serait dû aux arbitrages de l’Etat (l’ARS, Agence Régionale de Santé, en Bretagne).

Noir sur blanc dans OF

Que vaut cette explication? Je vous laisse juger.

Morbihan, changer de point de vue ?

Mon article précédent rappelait la nécessité d’une communication efficace pour impliquer les citoyens dans l’action publique. Réflexion générale qui ne répond pas à deux autres questions, importantes elles aussi : le département ne devrait-il pas disparaître (ma réponse est plutôt oui) ? La conduite des affaires par le président sortant et sa majorité est-elle aussi brillante qu’il veut nous en persuader ? Là encore, ma réponse est plutôt non. Et je vais vous dire pourquoi.

Photo de couverture Atlas des Paysages du Morbihan

L’action sociale, première responsabilité des départements

L’aide à l’insertion, le soutien aux personnes âgées et aux personnes en situation de handicap sont la première dépense des départements. Le Morbihan n’échappe pas à cette règle. Et du fait du vieillissement des populations (allongement de la durée de la vie) et des crises successives, ces dépenses ont augmenté. Ainsi pour l’insertion, de 61 millions à 95,7 millions. Plus de 50 %. Soit, mais si l’on regarde les données diffusées par les services de l’Etat (comptes individuels des collectivités), il faut nuancer le discours d’autosatisfaction.

Tableaux tirés des comptes individuels des collectivités

Le tableau est éclairant : le département du Morbihan consacre moins d’argent par habitant que les départements comparables (la strate). Cette analyse est largement confirmée par les données que calcule l’INSEE (Action sociale départementale Indicateurs sociaux départementaux).

On dépense donc plutôt moins, mais, paraît-il, on dépense mieux, on gère mieux. Passons sur la nouvelle organisation des espaces autonomie seniors ou santé qui a éloigné le service des bénéficiaires potentiels, la proximité étant assurée – et largement financée – par les intercommunalités.

Quant au soutien à l’insertion, il passe par des appels à projets auxquels doivent répondre les structures susceptibles d’assurer le service. J’avais posé une question orale au conseil municipal du 24 septembre 2018 : comment la commune allait-elle répondre à l’appel à projets pour maintenir son chantier d’insertion Nature et Patrimoine. La question posée avait jeté un éclairage un peu cru sur l’implication de notre conseillère départementale.

Le système mis en place a permis de faire des économies et… conduit à la fermeture de l’atelier d’insertion Pas-à-Pas qui s’adressait aux chômeurs les plus éloignés de l’emploi. . Les bénéficiaires de cet atelier sont toujours là, mais ils ont disparu des radars, ils ont rejoint la cohorte silencieuse des invisibles.

Avec des ressources confortables

L’effort en faveur des plus démunis, des plus fragiles n’est donc pas aussi remarquable qu’il y paraît. Et pourtant, le département dispose de ressources confortables. Celles que lui donne l’Etat – souvent critiqué pour son « désengagement ». Le Morbihan n’est pas le plus mal loti : la DGF (dotation globale de fonctionnement) par habitant était de 143 € en 2019, à comparer avec les 137 € des départements de la même strate.

L’attractivité de notre région, surtout celle du littoral, fait grimper le prix de l’immobilier dont le département profite par la taxe sur les mutations, ce qu’on appelle à tort les « frais de notaire ». Là encore, les chiffres relevés dans les comptes individuels des collectivités sont éloquents : le produit par habitant en 2019 a été de 179 € (166 € pour les départements comparables) et au total une somme qui représente 20 % des recettes totales, à comparer avec les 16,6 % pour la strate.

« L’impôt, c’est mal ! »

Mais le principal titre de gloire brandi dans le bilan du président sortant, c’est d’avoir baissé les impôts tout en réduisant la dette. Et c’est vérifiable, le prélèvement fiscal en 2019 était de 616 € par habitant en Morbihan, il était de 709 € pour les départements comparables. Faut-il s’en féliciter ? Oui sans doute, si on adhère sans réserve aux thèses de Reagan, Thatcher et consorts. En plus, ça plaît, c’est dans l’air du temps, ou plutôt c’était dans l’air du temps jusqu’à ce que l’action publique retrouve de la légitimité avec la crise… et impose de repenser notre rapport à la dette et à l’impôt.

Mieux répondre aux besoins

Personne ne conteste la nécessité de gérer au plus près la dépense publique : l’élu doit faire le meilleur usage des ressources qui lui sont allouées… ou qu’il sollicite à travers l’impôt. Sans doute, sous réserve d’une analyse plus fine et d’une confrontation avec les usagers et les personnels, la restructuration des centres techniques départementaux est une bonne démarche ; comme la décision de simplifier l’organigramme administratif ou la réduction des dépenses de communication. Sauf que du coup, il n’y a presque plus d’information grand public sur l’action départementale, comme je l’ai indiqué dans un article précédent.

Mieux répondre aux besoins, c’est d’abord accroître le soutien aux plus faibles : personnes âgées, en situation du handicap, chômeurs de longue durée doivent être au centre des priorités du département. Mais il y a aussi beaucoup à faire pour les collèges, pour ne citer que ce domaine.

S’engager dans un projet

La majorité départementale, sous l’autorité de son chef de file, s’est concentrée sur la gestion. Sans donner un cap : rien ou si peu pour la transition énergétique, par exemple. Ainsi, le projet de collège à Questembert ne semble pas intégrer la production d’électricité photovoltaïque, en tout cas si l’on se réfère à la vue diffusée sur le site du collège Jean-Loup Chrétien. Et lorsque le recours au bois énergie est évoqué, c’est pour des chaudières à pellets, alors que l’usage des plaquettes de bois permettrait plus facilement de s’appuyer sur des productions locales en circuit court.

Le département a aussi la charge des Espaces naturels sensibles... dont personne ne semble se préoccuper. Il est vrai que le président sortant a toujours été un farouche opposant au Parc Naturel Régional du Golfe ! Comme d’ailleurs aussi à la création de l’Etablissement Public Foncier de Bretagne.

Les compétences du département sont désormais restreintes au point qu’on pourrait imaginer la suppression de cette institution. En attendant, la situation actuelle devrait permettre à des élus plus ambitieux, plus imaginatifs, plus motivés même (?) de s’investir et de mobiliser les citoyens… et d’abord les électeurs.

Le groupe des élus de gauche

En 2015, quatre cantons seulement avaient élu des conseillers départementaux de gauche. Ils avaient publié un bilan de mi-mandat que vous pouvez trouver ici. Nous regarderons avec intérêt les propositions pour les élections de juin.

Le département, un cadavre qui bouge encore ?

En principe, sauf grosses difficultés sanitaires, nous serons invités à élire nos conseillers départementaux. Nos « conseillers départementaux » ? C’est quoi donc ? Je me rappelle qu’autrefois il y avait dans chaque canton un « conseiller général » ; j’ai même eu l’occasion d’entendre, après avoir refusé quelque chose à un habitant de la commune : « Mais j’irai voir plus haut ». Dans la tête de bien des gens, le conseiller général était au-dessus des maires, lui-même au-dessous du député, etc. Mais qui sait maintenant ce qu’est un conseiller départemental ? À quoi ça sert ?

Les binômes des conseillers départementaux sortants

Savez-vous que Mme Martin est toujours conseillère départementale de notre canton ?

Non, sans doute, vous l’aviez oubliée. Elle est pourtant vice-présidente, en charge de la culture (oui, de la culture). D’ailleurs, personne n’a plus entendu parler d’elle depuis les municipales de 2020. Parce que personne n’entend jamais parler du conseil départemental. Je suis injuste : le 26 mars, s’est tenue la dernière session de cette mandature, la dernière sous la présidence de François Goulard, et la presse locale en a parlé ! Le Télégramme dans cet article sur la dernière séance , et Ouest-France y a même consacré une page entière, oui, une page entière, à M. Goulard et à son bilan personnel.

Mais de l’action des élus de ce conseil départemental, de leur présence auprès des habitants, des cantons eux-mêmes, la presse n’a pratiquement jamais parlé ! Sans doute parce qu’il y a bien peu à dire.

Si les élus, leur rôle, leur action sont si mal connus, la faute en tient d’abord à l’institution elle-même, ou plus précisément au conseil départemental du Morbihan dans son fonctionnement actuel. A une époque, nous recevions dans nos boîtes aux lettres un magazine départemental, il n’y en a plus ; il y en toujours un sur le site du département… mais le dernier numéro en ligne est de septembre 2019… des nouvelles fraîches en quelque sorte !

Pardon, le département du Morbihan a fait le saut de la modernité, il s’est doté d’une page facebook. Allez-y voir ! C’est intéressant mais pas vraiment en phase avec les problèmes quotidiens des Morbihannais.

Informer, impliquer les habitants, une obligation pour les élus !

On entend souvent regretter l’abstention aux élections : les citoyens semblent se désintéresser de la vie publique. Sans doute, mais comment espérer qu’ils s’y intéressent si on ne leur apporte pas les informations pour comprendre l’action publique, ses motivations, ses enjeux ? En soulignant à la fois ce qui se passe en proximité et les grandes orientations au niveau départemental et au-delà. C’est un point que je considère comme essentiel et que j’ai développé dans un article Informer, communiquer, une obligation pour les élus.

Un rapide coup d’oeil sur ce que font les autres conseils départementaux ou le conseil régional de Bretagne montre qu’il est possible d’informer les habitants, soit à travers les médias soit par les outils de communication propres à ces institutions. Les élus s’appliquent à rendre compte de leur mandat, à expliquer leur position.

A commencer par le député de notre circonscription, Paul Molac. Très actif à l’Assemblée nationale, il est aussi très présent sur le terrain, attentif aux problèmes des citoyens, des élus, des acteurs économiques, il publie régulièrement sur sa page Facebook, mais aussi sur son blog personnel et il distribue régulièrement une lettre papier pour tous les habitants.

Mais c’est aussi le cas en Côtes d’Armor ou le conseil départemental publie régulièrement un magazine distribué aussi dans les boîtes aux lettres . Voir encore ce que publie le groupe Alliance progressiste des socialistes et démocrates du Conseil Régional de Bretagne

Plus près de nous, Maxime Picard, conseiller régional, a expliqué l’action de la Région sur notre territoire dans cette interview Notre territoire et la Région Bretagne

https://questembert-regard-citoyen.fr/?p=1176

Il apporte aussi des informations à travers la presse locale par exemple sur la desserte ferroviaire ou l’offre de formation, des sujets qui sont du ressort de la Région.

Une communication indigente,… à l’image de l’action ?

Rien de tout ça en Morbihan et encore moins dans notre canton. Le binôme de Mme Martin, M. Gicquel, maire d’Elven, semble se concentrer sur sa commune. Pourtant, nous aurions aimé en savoir plus sur le bilan du Contrat d’attractivité touristique signé avec Questembert communauté, sur l’installation des ateliers de l’Agence Technique Départementale au Petit Molac (une belle réalisation, semble-t-il!), sur l’avancement du projet de construction du nouveau collège Jean-Loup Chrétien, annoncé comme imminent en janvier 2019, et… aujourd’hui, il faut aller sur le site du collège pour trouver une préfiguration ! C’est là, visite virtuelle; soyez patients c’est la dernière image.

Aucune information, aucune communication, tant pis pour les conseillers sortants, mais surtout tant pis pour l’implication démocratique des citoyens ! Étonnez-vous après ça que les électeurs boudent les urnes.

Une image virtuelle du futur collège Jean-Loup Chrétien