Dans une tribune publiée dans Le Télégramme, Marc Le Fur, député des Côtes-d’Armor, conseiller régional de Bretagne, vante la maison individuelle y compris en matière d’écologie. Pourquoi pas ? Encore faudrait-il éviter les facilités de la démagogie : c’est bien commode de s’en prendre aux élites parisiennes, d’opposer les métropoles maléfiques aux ruralités sans taches, les élucubrations intellectuelles au bon sens paysan. Ça m’a un peu agacé.
La tribune est en accès libre
Lisez cette tribune, ça semble du bon sens et pourtant…
Le peuple contre les élites?
La tribune commence très fort : Les élites parisiennes ont un jour décidé que la maison individuelle était condamnable et donc condamnée. Et un peu plus loin, Le Fur clarifie sa pensée : Et si, une fois de plus, le peuple avait raison contre les pseudo élites Les élites ne sont même plus des élites (quelle déchéance!) et le peuple (le vrai, sans aucun doute) lui a forcément raison, car le peuple, par nature, sait tout, sans avoir rien appris.
La musique populiste est bien connue; on la connaît en fanfare dans les manifestations de gilets jaunes ou de bonnets rouges, en sourdine comme ici, où elle se joue comme la douce voix du bon sens. Un bon sens qui dispense de s’informer, qui flatte l’ignorance contre le savoir.
Authentique représentant du peuple?
Oui, c’est vrai, l’ENA, l’école nationale d’administration, est née, en 1945, de l’idée gaullienne d’une fonction publique très qualifiée, mais indépendante de la haute bourgeoisie dont les enfants peuplaient les ministères et administrations. Mais, peu à peu, l’élan démocratique impulsé à la fois par le communiste Maurice Thorez et le gaulliste Michel Debré, s’est essoufflé : les énarques sont devenus comme une noblesse d’État, que Pierre Bourdieu a bien analysée dans un livre monumental (près de 600 pages!) Mais savez-vous d’où vient ce pourfendeur des élites parisiennes ? Consultez sa biographie ci-dessous.
M. Le Fur, tribun du peuple, est un haut fonctionnaire, biberonné à Sciences Po, sorti de l’ENA en 1983. D’abord sous-préfet en Côtes d’Armor, il gravite dans les hautes sphères de l’administration (cabinet d’Édouard Balladur, etc), avant de se parachuter dans une circonscription rurale. On ne dira pas de lui qu’il a encore de la bouse à ses sabots ! (photo CC)
Un député hors-sol ?
Hors-sol, comme les porcheries dont il s’est fait le défenseur acharné ? Eh oui, notre député chantre de la ruralité profonde est peut-être bien un député hors-sol. Car, s’il connaissait de près la réalité du terrain qu’il prétend labourer, oserait-il parler dans sa tribune du petit jardin qui permet de produire ses légumes ? Non, il suffit de parcourir les lotissements de pavillons individuels qui lui sont si chers pour se rendre compte que désormais les potagers ont cédé l’espace à des jardins décoratifs, ornés de plantes exotiques (oliviers, palmiers, etc) quand ils ne sont pas devenus de simples aménagements paysagers, figés, sans vie et sans âme.
Un débat qui mérite mieux
Plutôt que de flatter les électeurs en leur servant des idées toutes faites, il faudrait nous aider à réfléchir collectivement à la complexité du réel. Sur ces deux points parmi d’autres :
– il faut plus de logements parce que notre population s’accroît (notre région attire), parce que la taille des ménages diminue (de 3,1 personnes en 1968 à 2,2 en 2020)
– l’étalement urbain fait consommer des terres agricoles ou naturelles, accroître les besoins de déplacements (domicile-travail : en 1999, 8,1 Km, en 2019, 12,5 Km)
Je rêverais d’un monde où les élus (et les élites?) nous aideraient à connaître et à comprendre le réel. Ainsi, nous pourrions ensemble décider des choix possibles pour le présent et pour l’avenir. Ce n’est pas le projet de M. Le Fur.
Les élites parisiennes ont un jour décidé que la maison individuelle était condamnable et donc condamnée.
Evidemment, et ça ne gêne pas Marc Le Fur, c’est un résumé biaisé de la loi Climat et Résilience, mais ça ne le gêne pas non plus d’en attribuer la paternité aux « élites parisiennes », alors que cette loi retranscrit une bonne part des conclusions de la Convention Citoyenne pour le Climat, qui n’était pas une assemblée de technocrates hors-sol.