Petite ville de demain

Si on parlait de commerces ?


Deux boulangers qui arrêtent leur activité, (ouf, une reprise en vue), une photographe qui déménage vers Vannes, la bijouterie qui ferme, le magasin d’accessoires liquide son stock avant fermeture définitive. Notre centre-ville n’est pas florissant, malgré quelques belles réussites. Comment en est-on arrivé là ? Y a-t-il des pistes d’amélioration ? Et puis surtout, la question centrale, que fait la mairie ?

Y a que nous ? Non
Presque toutes les villes, les plus grandes, les plus petites, les villes moyennes connaissent des difficultés comparables. Un rapide coup d’œil sur les quotidiens régionaux le confirme. À Landerneau (Finistère), le taux de vacance commerciale est seulement de 8 %, c’est deux fois moins qu’à Morlaix et trois fois moins qu’à Quimperlé. » (OF 1/10/24). À Hennebont, le taux de vacance (sur les 132 pas-de-porte du centre-ville) diminue, passant de 15 % à 13 % entre 2018 et 2024. (mais 13%!) (OF 13/03/25). La liste est longue des centres-villes à la peine. Questembert est sans doute dans la moyenne.
Mais pourquoi ? M’enfin, c’est évident : il n’y a pas assez de stationnements ; le plan de circulation est minable ; la ville manque d’animations. Voilà ce qui se dit… à Questembert, et à peu près partout.

Prenons un peu de recul
Le cabinet CODATA, spécialisé dans l’étude du commerce de détail a publié récemment un État des lieux de l’immobilier commercial et du retail en France (téléchargeable ici). Un document austère mais dont le contenu a été relayé par la presse, en particulier dans un article du Monde dont le titre est révélateur La lente agonie du commerce en centre-ville. 
Mais d’abord un tableau sur l’évolution des commerces en pied d’immeuble, comme chez nous en centre-ville. Il est tiré de l’état des lieux produit pas Codata. Même si l’étude concerne des villes plus importantes que la nôtre et même des grandes villes, ce tableau montre bien la tendance générale à la baisse, sauf pour les cafés-restaurants. La plongée est nette pour l’habillement, le vêtement, les chaussures et la maroquinerie. Elle est moins sensible, mais réelle pour l’alimentation.

Le monde a changé !
D’abord on n’achète plus les mêmes choses : la répartition de nos dépenses a radicalement changé depuis une cinquantaine d’années. En cinquante ans, les dépenses des Français, et en particulier celles des urbains qui sont à la fois les plus nombreux et les plus à l’aise, ont été totalement bouleversées : les dépenses alimentaires ont baissé de 29% à 16%, l’habillement de 8% à 3%. En sens inverse, alors que les ménages consacraient 4 % de leur budget pour le bien-être, la santé, les loisirs, ces dépenses représentent désormais 14%. Quant aux dépenses de restaurants et hôtels (la restauration hors foyer!), elles sont passées de 5,3 % à 8,6 %.
De plus on n’achète plus de la même façon. L’expression faire les magasins est passée de mode. On va dans une enseigne généraliste pour les grosses courses (et de plus en plus, c’est en drive, en click and collect !), ou dans un magasin spécialisé (je vais chez
Décat, à la FNAC)
. Et de plus en plus, l’acheteur, surtout le plus jeune, va faire son shopping sur internet : il va scroller sur les boutiques en ligne, se faire livrer le produit à domicile ou en casier relais.
En définitive, nous sommes là face une tendance lourde : un changement de monde dont nous avons été, dont nous sommes encore des acteurs, car les analyses statistiques ne font que montrer nos comportements. Bien sûr, la tentation romantique est toujours là : c’était mieux avant ! Mais il faut aujourd’hui abandonner le fantasme du petit commerce de centre-ville. Nous aimons tous le petit commerce de proximité. Mais regardons en fin de mois le total de nos achats par carte bancaire: quelle est la part du petit commerce? . Statistiquement, les achats dans les petits commerce représentent à peine plus de 10 % du total des achats.

Des palliatifs ?
Les chambres de commerce, les élus locaux, l’Etat, la Région, tout le monde tente d’enrayer la tendance. Ici la ville moyenne s’engage dans une opération Coeur de Ville, là, c’est un programme Petites Villes de Demain (comme chez nous), la Région Bretagne et Questembert Communauté proposent le pass-commerce, un appui au commerce de proximité, des communes financent leur dernier commerce, boulangerie, café, etc. Voir ici un article très bien fait des Infos du pays gallo;

Des occasions manquées ?
Je lisais récemment sur les réseaux sociaux une comparaison avec des villes de la taille de Questembert, qui s’en sortiraient mieux, parce que mieux desservies par des voies rapides, plus attractives grâce à leurs grandes surfaces. Ce sont probablement des atouts, que nous aurions pu avoir en main il y a 20 ans. J’avais fait de mon mieux dans ce domaine, sans être suivi, et quelques-uns de mes adversaires les plus farouches de l’époque en subissent les conséquences aujourd’hui. Mais ce sont des cartes qu’on ne peut plus jouer : l’heure n’est plus aux grands centres commerciaux irrigués par des réseaux de voies rapides, mais à la proximité.

Anecdote
En 2001, alors que commençait l’élaboration du PLU, je fais part au groupe de travail (élus majorité et opposition, représentants de la société civile) de la demande d’un très grand groupe de distribution d’accueillir un 3ème supermarché. Le tour de table (15 personnes) est presque unanime : une seule voix contre, une voix de mon groupe ! Et je cite, presque mot pour mot, les propos du leader de l’opposition de l’époque et d’une autre personne non élue, mais qui était sur sa liste : « C’est une bonne nouvelle ; on n’aura plus besoin d’aller faire nos courses à Vannes et ça favorisera le développement de notre petite ville. » Quelques jours plus tard, ils ont tous deux changé de position : un puissant lobby les a persuadés que ce n’était pas un bon positionnement politique. Pourtant, à cette époque-là – ce n’est plus vrai aujourd’hui – c’eût été un atout pour Questembert. Mais pas la peine de pleurer sur le lait renversé.


Plus récemment, pour parler d’occasions manquées, il faut signaler que la commune de Questembert ne s’est pas intéressée aux propositions conjointes de l’État et de la Région pour redynamiser les centres-bourgs ; Jeannine Magrex, dans cet article Parlons d’urbanisme (à la fin), précise ce que d’autres communes avaient pu décrocher comme co-financements pour leurs projets.

Un autre hard-discount chez nous ?
L’intérêt du groupe Aldi est évidemment d’avoir de nouveaux points de vente. Est-ce l’intérêt des consommateurs ? Aux dépens de qui cette politique de très bas prix peut-elle se développer ? On parle quelquefois d’évasion commerciale : quelle part de la consommation se fait hors de la zone de chalandise ? Malgré les dénégations, l’évasion commerciale était forte dans les années 2000. J’en ai parlé dans ce billet de 2012 à propos d’un projet de super U.
Je ne sais quelle peut être la situation aujourd’hui ; ce serait pourtant utile d’avoir cette information… qui sera certainement évoquée dans le dossier de CDAC (Commission départementale d’Aménagement Commercial) que Questembert Communauté, à la demande du maire, a décidé de saisir.
La demande a peut-être surpris, car, comme le soulignent certains, un peu plus de concurrence, ça peut pas faire de mal ! Mais il y a une cohérence à souligner : comment justifier que, dans la feuille de route adoptée pour le programme Petites Villes de Demain, on sollicite des fonds pour le commerce de centre-ville alors qu’on risque de le fragiliser avec un hard-discount en périphérie ? Le minimum était sûrement de saisir la CDAC qui rendra son avis. S’il est positif pour le projet Aldi, le permis de construire sera soumis à la signature du maire : soyez sûrs qu’Aldi saura respecter toutes les règles et que le maire ne pourra que signer !

Mais alors Mc Do ?
Justement, il n’y a dans ce cas que des règles d’urbanisme : la surface commerciale est évidemment inférieure au seuil de saisine de la CDAC. Et si le dossier est conforme, le maire ne peut pas refuser le permis de construire. Mais la question revient aux réflexions initiales : si le poste de dépenses restaurants/hôtels a progressé, c’est évidemment par le développement de la restauration hors foyer… qui ne relève pas toujours de la gastronomie. (Il y en a même qui parle de junk food).

Petites Villes de Demain, où en est-on?
Le sujet mériterait un article complet. Cependant, chacun peut s’informer dans le compte-rendu du conseil du 28 janvier 2025.
Vous pouvez aussi visionner la présentation diffusée ce soir-là (diap 22 à 45). J’y reviendrai dans un prochain billet.

Périmètre de l’Opération de Revitalisation de Territoire (ORT) à Questembert (diapo 26)

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